[dropcap]A[/dropcap]près 13 ans d’absence, Maria McKee est de retour avec La Vita Nuova. Pendant cette longue période, l’Américaine a remis en cause sa relation de couple, traversé une période de dépression et annoncé son coming out. Ce nouvel album, enregistré sans intention d’être publié, a été cathartique. Dense au premier abord, La Vita Nuova est sans aucun doute ce que Maria McKee a sorti de meilleur depuis Life Is Sweet.
Dans cet entretien fleuve pour Addict-Culture, elle se livre ouvertement sur des sujets aussi personnels que sa vie de couple, la Maria McKee du passé à laquelle elle ne s’identifie plus, sa famille queer londonienne et la perte de ses fans de la première heure.
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Ton dernier album date d’il y a 13 ans. Quel a été ton rapport à la musique ces dernières années ?
J’en écoutais peu. J’ai surtout consacré du temps au cinéma. Mon mari réalise des films indépendants. Nous avons travaillé ensemble. J’ai joué, produit, fait le casting et supervisé les bandes originales. Nous y prenions beaucoup de plaisir. Tous nos amis de l’époque évoluaient dans le cinéma. Nous passions notre temps à regarder des films de la Collection Criterion. Mon mari m’avait écrit un rôle dans le dernier film que nous avons fait ensemble. C’était un rôle très sombre et nihiliste. Je m’y suis plongée intensément. Ça a déclenché quelque chose en moi. J’ai eu l’impression de sortir d’une période d’insensibilité.
Y a-t-il un événement spécifique qui t’a décidé à vouloir te mettre au travail sur La Vita Nuova ?
Je n’avais pas composé de cycle de chansons autour d’un concept depuis Life Is Sweet en 1996. Ce disque m’a obsédé à l’époque. Il est sorti de moi comme une explosion. Il m’a fallu 25 ans pour que ça arrive à nouveau avec La Vita Nuova. J’étais arrivée à un stade où j’avais l’impression de stagner. Ma vie était agréable, mais je me laissais aller.
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J’avais l’impression que ce nouvel album allait être une élégie à la jeunesse, la beauté, la romance. Il s’est révélé être un plan m’indiquant le chemin pour m’échapper du passé.
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Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était lié à mon mariage. Après vingt-deux années de relation monogame avec un homme brillant que j’ai soutenu malgré quelques années platoniques, j’ai réalisé que ma passion pour lui avait éteint quelque chose en moi. Et j’ai besoin de passion pour composer. Toutes ces années, j’ai dû apprendre à vivre sans désir, spontanéité ou nouveauté. Ça me rongeait de l’intérieur.
Je l’ai réalisé tardivement, lorsque je n’ai pas réussi à sortir du personnage qu’il avait écrit pour moi pour son film. J’ai sombré dans la dépression. Malgré cela, j’ai tout de même donné mon premier concert depuis très longtemps à la cathédrale St Patrick de Dublin. Les voies de mon esprit se sont ouvertes pendant ce live. Le public l’a ressenti sur scène. Il s’est passé quelque chose pendant le vol du retour. Il y a eu une éclipse, la première d’une série solaire et lunaire. Elle a profondément affecté ma relation à l’astrologie.
Je suis consciente que ça a l’air fou. J’étais en plein vol quand c’est arrivé. Quand je suis sortie de l’avion, ma perspective sur la vie avait changé. J’étais plus forte. Je me sentais capable de confronter des choses qui me faisaient peur. Soudainement, j’ai ressenti une douleur agonisante. Comme si quelqu’un était assis sur ma poitrine en permanence. Je n’arrivais pas à déterminer ce que c’était. La souffrance m’empêchait de dormir. Complètement perdue, j’ai décidé d’essayer d’écrire des chansons. Je n’arrivais pas à m’arrêter. J’ai évidemment cherché de l’inspiration dans le passé. Un sentiment de deuil s’est installé en moi. J’avais l’impression que ce nouvel album allait être une élégie à la jeunesse, la beauté, la romance. Il s’est révélé être un plan m’indiquant le chemin pour m’échapper du passé.
Tu as dit que l’écriture de La Vita Nuova a sauvé ta vie. Le process a-t-il été long ?
Oui. J’étais heureuse de l’évolution de l’album. Mais le soir, je passais du temps à pleurer chez mon meilleur ami en écoutant les maquettes. C’est un fan que j’ai rencontré au début des années 80. Pour lui, c’était magnifique de pouvoir participer au processus créatif. Me concernant, c’était difficile. J’agonisais. Il a été ma béquille pendant cette période. Il a tout de suite senti que je créais quelque chose de particulier.
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J’adore le concept d’une muse observée à distance et l’idée du désir non réciproque.
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En es-tu finalement ressortie changée en tant que personne ?
Je me suis rendue à Londres pour la première fois en 10 ans pour un événement familial. Je n’allais toujours pas mieux malgré l’écriture de l’album. À mon retour, j’ai annoncé à mon mari que je voulais rencontrer d’autres personnes. Nous sommes toujours mariés. Il est ma famille, je l’aime encore. On passe des heures au téléphone. Je travaille toujours avec lui. Il est même mon voisin de palier. Mais nous ne sommes plus monogames. La Vita Nuova a déclenché tout ça.
Tu as composé une quarantaine de chansons pendant cette période. Reflètent-elles ton évolution en tant que personne ?
Les premières chansons composées étaient plutôt sombres, énervées et portées vers le sexe. Elles finiront certainement sur un autre disque. Et puis j’ai commencé à écrire des chansons plus respectueuses, comparables à des poèmes romantiques. L’album a commencé à prendre forme à ce moment-là. C’est une lettre d’amour à la jeunesse perdue, le désir évanoui.
Je lisais Dante pendant l’écriture. J’adore le concept d’une muse observée à distance et l’idée du désir non réciproque. Il y avait un lien évident avec ma crise de la quarantaine, l’absence d’enfants dans ma vie, un mariage sans romance. La muse représentait mon passé. J’ai lu Vita Nova puis je me suis renseignée sur Les Fidèles d’Amour dont Dante parle dans le livre. C’est un concept philosophique. Quand tu vantes la beauté d’un être aimé, de façon à incarner le désir, tu hiérarchises tes projections romantiques. C’est, en quelque sorte, une expérience spirituelle qui ouvre les portes d’une communication divine. Exactement ce que je vivais à l’époque. Je surmontais quelque chose. C’est devenu une obsession. C’est pourquoi j’ai orienté mes chansons sur ce thème.
Les cordes tiennent une place importante dans ce disque. Savais-tu dès le départ que tu voulais ce type d’instrumentation pour accompagner tes paroles ?
J’ai passé des années à marcher obsessivement dans Los Angeles en écoutant de la musique classique. Souvent, une quinzaine de kilomètres par jour. Je réfléchissais à ma vie, à comment m’en extraire. J’écoutais Schubert, Ravel ou Ralph Vaughan Williams.
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Je m’étais fixée un but : écrire la missive poétique d’un amour impossible. Je m’y suis lancée avec passion.
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Quand mes premières chansons ont pris forme, je me suis dit qu’elles devaient éclore. J’ai emprunté un synthé pour ajouter des parties de cordes. Elles ne cessaient de proliférer. J’ai passé un été entier dans un bureau en pleine canicule. Je suais et j’étais entourée de punaises dont je n’arrivais pas à me débarrasser. Il y en avait partout. Sur le clavier de mon ordinateur, sur les touches du synthé, sur mes bras. J’ai tenu bon. Le résultat en valait la peine. C’est un ami, compositeur de musique classique qui s’est occupé des arrangements. À part quelques parties supprimées car elles ne fonctionnaient pas selon lui, il n’a rien modifié à mon travail. Il a conduit l’orchestre en restant fidèle à mes partitions. C’était fantastique de travailler avec lui.
Les paroles sont denses et intenses sur ce nouvel album. Es-tu consciente que cet album va demander du temps à tes fans de longue date pour pleinement les apprécier ?
Oui. Pour une fois, j’ai réalisé un disque pour moi sans savoir si les gens allaient l’aimer. Je m’étais fixée un but : écrire la missive poétique d’un amour impossible. Je m’y suis lancée avec passion. Les mots me donnaient l’impression de planer. Ils me venaient naturellement sans que j’arrive à m’arrêter. C’est un peu comme du Stephen Sondheim, le compositeur américain. Ses textes sont presque du rap tellement il utilise de mots. C’en est presque innovant. J’adore ça et j’ai voulu publier mes chansons en l’état, sans penser à l’opinion des autres.
Tu sembles avoir démarré le travail sur La Vita Nuova avant d’avoir une maison de disque. As-tu envisagé à un moment de ne pas le publier ?
Je me suis retrouvée avec un album terminé sans savoir quoi en faire. J’ai envisagé de le garder pour moi. Et puis, je me suis dit qu’il serait bien de le sortir. Je n’ai pas voulu m’en occuper seule car c’est un travail épuisant. J’aimais bien Fire Records. J’avais déjà rencontré James, le gérant du label. Il a aimé l’album et s’est occupé de tout le reste.
Maintenant que tu n’es plus aujourd’hui la même personne, après ce break de 10 ans, quel regard portes-tu sur tes albums précédents ? Est-il compliqué de regarder en arrière ?
Je ne me reconnais plus dans ce que j’ai pu faire avant, car le « moi » d’avant n’existe plus. Le monde change sans cesse. En bien et en mal. Certaines personnes arrivent à s’en accommoder et subissent. J’ai fait mon coming out récemment. L’affranchissement des queers me passionne. Parrainer de jeunes queers est devenu la chose la plus importante dans ma vie. J’avais pour habitude de collectionner des objets achetés sur eBay, de passer du temps avec des amis pour ragoter, et surtout de regarder la télé. Je ne fais plus rien de tout ça. Quand il me reste de l’argent, je l’utilise pour aider les associations de mes amis trans. Mon côté insensible s’est évanoui. J’ai des objectifs au quotidien. Ma vie a un sens.
Ta nouvelle vie t’attire les foudres de certains fans, que ce soit en concert ou sur les réseaux sociaux. Comment le vis-tu ?
C’est intéressant. J’ai récemment donné un concert de charité au Moth Club de Londres. Je voulais récolter des fonds pour mon association afin que les femmes trans puissent bénéficier de chirurgie faciale. 100% de la vente des tickets finançaient ce projet. J’ai communiqué sur ce sujet, il était impossible de ne pas le savoir en achetant son billet. Je suis très impliquée dans une petite communauté queer de Londres qui m’a aidée quand ça n’allait pas. Ils ont fait de moi leur maman. Une cinquantaine d’entre eux étaient sur la liste des invités. Avant que le concert ne débute, j’ai remercié tout le monde d’avoir acheté des billets. J’ai aussi dit que je voulais que tout le monde se sente bien et en sécurité. Un ami transgenre assurait la première partie. Il paniquait avant de monter sur scène car la salle était remplie d’hommes. Il a demandé gentiment au public devant la scène de faire un peu de place aux trans pour qu’ils puissent profiter du concert. Ils ont à peine bougé. Pour mon concert, c’était encore pire. Il y avait un mur d’hommes qui me fixaient. Je leur ai dit poliment que ça me rendrait heureuse s’ils laissaient quelques amis queer approcher de la scène. Ils n’ont pas bougé. Ils continuaient à me regarder. J’en ai parlé le lendemain sur Instagram. Ça m’a valu des commentaires insensés. Les hommes hétéros se disaient marginalisés. D’autres, qui me suivaient depuis les débuts, se sont sentis exclus. Ils m’accusaient de les délaisser pour mon entourage alors qu’ils avaient fait de moi une légende vivante. Des fans gays s’en sont également pris à moi. Ils pensent que je diabolise les gens en fonction de leurs préférences sexuelles. J’ai juste l’impression que ces personnes sont coincées dans un passé archaïque. Je n’arrive pas à l’accepter. Je veux me battre pour mes bébés. Ma fille queer trouve qu’il faut que je continue à riposter. Résultat, à mes prochains concerts, il y aura un espace réservé pour que les gens que j’aime soient en face de moi. C’est dur pour mes vieux fans qui m’aiment telle que je suis et qui me soutiennent. Je ne veux pas les décevoir car je les adore et les respecte. Mais un gamin trans de 21 ans a plus besoin de ma protection qu’eux. J’espère trouver une façon… (elle s’arrête net, le regard triste ndlr). Mon coming out et ce premier concert me font perdre beaucoup de fans. Je ne suis plus la gamine mignonne qu’ils avaient en poster dans leur chambre. Il va falloir qu’ils l’acceptent un jour.
La Vita Nuova de Maria McKee est sorti chez Fire Records. Il est disponible chez votre disquaire local.
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La Vita Nuova
Maria McKee
Fire Records
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Photos : Alain Bibal