[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#c9899b »]E[/mks_dropcap]ntre dunes ondulantes et vents tourmentés, une société errante tente de survivre à chaque nouveau jour passé dans le désert qu’est devenu le monde. Le sable, force erratique, a tout englouti, enterrant en ses propres profondeurs des villes autrefois grouillantes de vie.
À la surface, des communautés subsistent à l’orée d’un horizon bas et étouffant, funambules au-dessus d’un sol qui se dérobe sous chaque pas. Qu’espérer d’une existence qui peut d’un instant à l’autre être retournée à la manière d’un antique sablier ?
Les plongeurs, maigre élite de têtes brûlées, trompent leurs destins dérisoires en descendant toujours plus loin dans les abysses froids et graveleux, afin d’en remonter des artefacts et autres matériaux utiles ou négociables. À l’intérieur de combinaisons électroniques, ils risquent perpétuellement l’asphyxie, ou la découverte de Danvar, cité enfouie extrêmement convoitée…
Plus ils s’enfonçaient et plus la colonne de sable au-dessus d’eux se tassait et se faisait pesante. À ce stade, beaucoup de plongeurs cédaient à la panique et au phénomène dit « du cercueil », quand ils laissent le sable se solidifier autour d’eux.
Derrière le mythe d’une nouvelle Atlantide et les déambulations arides d’individus abîmés se jouent plusieurs histoires minuscules, dont celle d’une fratrie dysfonctionnelle. Liés par la disparition d’un père jadis plongeur émérite, trois frères et une sœur vont rivaliser de dispersion pour assembler un puzzle incertain.
C’est donc à travers leurs trajectoires fragiles que vont se révéler les véritables enjeux de ces plongées, plus proches de la traversée du miroir que d’une véritable chasse au trésor.
Il était facile d’en vouloir aux gens pour cette vie misérable, plutôt que d’en accuser le sable. S’emporter contre le sable ne menait à rien. Les gens, en revanche, avaient des réactions en rapport, et au moins c’était une forme de réponse. Une reconnaissance. Il n’y avait rien de pire qu’être tourmenté et dans le même temps ignoré.
Fidèle à ses obsessions souterraines, Hugh Howey revient prouver son talent de démiurge dystopique en imposant au genre une plume à l’ambition plus atmosphérique que technologique.
En effet, ce qui semble une fois de plus tarauder l’auteur de l’addictive saga Silo, ce sont les réactions des personnages face à un environnement les renvoyant à leur propre impermanence. Ainsi, la description des superbes combinaisons nécessaires aux explorations ou encore le vocabulaire inventé pour nommer les différents types de sable ne sont que des outils narratifs utilisés pour assurer l’apnée du lecteur et celle de ses héros, la rigueur scientifique n’est ici pas de mise.
Dans Outresable comme dans Silo, Hugh Howey préfère en effet dégainer des cliffhangers (pas toujours très heureux mais néanmoins efficaces) et des chapitres en forme de feuilleton pour mieux camoufler le cœur battant de son récit au détour de protagonistes d’abord distants, puis soudain au premier plan.
Décor maîtrisé, ambiance travaillée et évènements surprenants : Outresable nous enveloppe vite, pleinement, et malgré les nombreux points d’interrogation semés en surface, tout, dans cette intrigue morcelée, nous intime de creuser, puisque quelque chose, toujours, finit par nous rattraper…
Un subtil parfum de Dune (Frank Herbert) associé à la vélocité scénaristique d’un Robert Kirkman (The Walking Dead) animent ce roman épique et foisonnant, qui ne donne plus envie de marcher dans le sable, mais bien de courir.
Mention spéciale pour l’illustration de couverture, huile sur toile de l’artiste Jeremy Geddes, sobrement intitulée Redemption.