Dans ce roman bouleversant que l’on suppose autobiographique (comme une grande partie des romans de la rentrée littéraire de cette année 2016 ), Gaël Faye, rappeur et slameur franco-rwandais qui fait partie des auteurs les plus vendus et les plus plébiscités de la rentrée, nous emmène sur les chemins de l’enfance. Une enfance heureuse au Burundi dans un confortable quartier d’expatriés, une enclave de paix et de protection où le narrateur, enfant métisse d’un père entrepreneur français et d’une mère tutsi exilée du Rwanda, et ses amis, eux aussi fils de « dominants », peuvent s’adonner aux 400 coups et aux élans d’amour et de haine que seul offre cet âge sacré de l’innocence. Cette enfance a le goût du bonheur celui des mangues sucrées et de la liberté.
Mais la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres et le coup d’état du 21 octobre 1993 va raviver les tensions. Ce putsch mené par des militaires va coûter la vie à Melchior Ndadaye premier président civil hutu élu démocratiquement. Pour quelles raisons les élections ont-elles sombré dans la violence ? Pourquoi des massacres de Tutsis ont-ils suivi ? Comment cette histoire a commencé, comment cette haine entre Hutu et Tutsi a enflé de jour en jour et fait basculer une partie de l’Afrique dans le chaos ? C’est ce que tente de nous conter Gaël Faye dans ce formidable roman où l’histoire, les dialogues, l’atmosphère sont marqués d’autant de naïveté que de gravité. Raconté à hauteur d’enfant ce quotidien enchanté qui va basculer dans la tragédie est empreint de douceur, de fractures invisibles, lancinantes, d’un bruit de fond qui donnent au récit toute sa profondeur. L’allégresse pure de ces moments d’enfance va laisser place à la peur puis à la violence.
Ce que Gael Faye nous transmet ici, par son écriture mesurée, limpide et bouleversante, c’est l’ombre des morts qui plane sur l’enfance.
Le narrateur, Gabriel, qui n’a pas envie de choisir son camp dans cet affrontement à hauteur d’enfant, va se réfugier dans les livres pour tenter d’oublier cette guerre qui massacre ses rêves et ne pas voir sa mère qui, noyée dans sa douleur d’être allée chercher les siens aux portes de l’Enfer et de n’avoir pas pu les sauver, sombre dans la folie.
Ce conflit va transformer Gabriel et ses compagnons d’innocence. Ces enfants sacrifiés vont devoir apprendre à apprivoiser la peur puis la mort. La guerre a saccagé leur enfance. Il n’y a plus rien à sauver. Il n’y a plus rien à comprendre. Pour Gabriel et sa sœur, il ne reste plus que l’exil en France. Mais s’exiler, c’est fuir. C’est tanguer entre deux rives. C’est perdre son enfance.
Le retour au pays obsédera Gabriel jusqu’à ce qu’il retourne, 15 ans plus tard, y refermer la porte pour toujours…
Gaël Faye sait décrire l’enfance, son insouciance et ses joies. Ce livre est certainement l’un des textes les plus inattendus et les plus inoubliables de la rentrée. Petit pays est un livre qui, malgré son thème, procure beaucoup de joie et de délicatesse on ne peut qu’espérer que l’auteur porte en son âme d’autres textes de cette puissance.
Petit pays de Gaël Faye, Editions Grasset, Août 2016
Je l’ai enfin lu. Effectivement un texte très puissant et une chronique qui donne envie.