[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]histoire que je vais vous conter trouve son origine en l’an de grâce 1908, et, plus précisément, dans le titre du septième chapitre du fameux The Wind in the Willows (Le vent dans les saules), roman de l’Écossais Kenneth Grahame et grand classique anglais de la littérature jeunesse. Nous sommes sur les bords de la Tamise en compagnie d’une taupe, un rat, un crapaud et d’une flopée de personnages empruntés à tout un bestiaire fantasmagorique.
Il fallait trouver un titre pour un premier album et c’est son concepteur qui soumettra cette évocation enfantine du « joueur de pipeau aux portes de l’aube ».
L’un des grands espoirs d’une scène alternative qui ne demande qu’à émerger
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]R[/mks_dropcap]emontée spatio-temporelle en 1962, la sortie du 45 tours Love Me Do vient tout juste d’enclencher la révolution pop anglaise. Liverpool est devenu l’épicentre d’un nouveau mouvement, source d’hystérie pour la jeunesse britannique. Londres n’est pas en reste avec la naissance scénique des Rolling Stones. Du côté de Cambridge, Roger Keith Barrett est bien plus préoccupé par ses gammes et l’inspiration des racines de la musique folk et rock américaine.
Le jeune homme, qui n’a que seize ans, est fortement attiré par ce rock exigeant d’obédience rhythm ‘n’ blues. Une musique qui va forger, au fil de ses années post-adolescentes, une empreinte sonore étonnante… bien aidé en cette quête par des compagnons de (future) fortune qu’il aura lui-même rejoints.
En 1966, après avoir usé différentes typologies de line up, The Pink Floyd Sound se résume à un quatuor accommodé d’un Syd Barrett tenant ardemment sa baguette de magicien et non accessoirement tenant le rôle de guitariste et chanteur. Le compositeur est accompagné de Richard Wright aux claviers, Roger Waters à la basse, et Nick Mason à la batterie. Le blason du groupe (faisant référence aux bluesmen Pink Anderson et Floyd Council) va progressivement abandonner son déterminant, ainsi que le vocable « Sound » pour laisser ainsi la genèse de Pink Floyd s’exprimer à la lueur des étoiles.
Le 14 octobre de cette même année, International Times (IT) se lance sur le marché juteux de la presse musicale avec un concert événement au Roundhouse qui voit nos amis s’afficher comme l’un des grands espoirs d’une scène alternative qui ne demande qu’à émerger dans le sillage des pionniers évoqués plus haut. Un indéniable tremplin qui permettra au groupe de répondre aux multiples sollicitations, et notamment une première apparition télévisuelle à l’invitation de la chaîne Granada TV. Quelques téléspectateurs chanceux auront ainsi eu l’opportunité de découvrir une interprétation audacieuse de l’embryonnaire Interstellar Overdrive.
Millésime 1967 : la navette spatiale est en plein vol après être passée dans les bureaux de la major EMI, histoire de signer un contrat des plus précieux. Dans la foulée, c’est un premier 45 tours qui sort au printemps. Si les paroles du calibré Arnold Layne sont pointées du doigt par quelques conservateurs en mal de chasse aux sorciers, le succès commercial est au rendez-vous, et n’attend plus que la concrétisation sur un premier long format. Ce sera chose faite le 5 août, jour béni où l’étincelant vaisseau Pink Floyd débarqua sur Terre avec un premier LP prodigieusement essentiel.
La consécration naissante du « space rock »
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]enons-en donc au cœur de ce disque qui nous préoccupe, en commençant par l’appréhension de sa coquille. Une pochette élaborée par Vic Singh, où les quatre membres du groupe, affublés de vêtements hauts en couleurs, posent à la lueur d’un éclairage stroboscopique. Le résultat souhaité par le photographe était de coller visuellement avec le surréalisme ressenti à l’écoute extatique de The Piper at the Gates of Dawn. C’est en utilisant la fusion d’images révélées par une lentille prismatique (donnée quelques semaines plus tôt par George Harrison) que Vic Singh réussira ce portrait qui accrochera l’œil autant que le contenu harponnera nos oreilles.
L’ingénierie sonore est ainsi lancée sur le récitatif de Peter Jenner, manager émérite de son état. La litanie des astres est une parfaite entame qui introduit Astronomy Domine et sa folie douce (sublimée par le dédoublement vocal de Syd Barrett et Rick Wright) au rang de classique du genre. Le titre déboule d’emblée avec ses aliénations grinçantes et autres spirales kaléidoscopiques qui semblent crier au loup. La barre, dès l’introduction, est déjà très haute. C’est la consécration naissante du « space rock » qui explose dans les enceintes, trouvant son chemin interstellaire au travers d’aspirations psychotropes.
Il faut dire qu’en 1967, la conquête spatiale est en pleine effervescence. Six ans plus tôt, le cosmonaute Youri Gagarine devenait le premier être humain envoyé dans l’espace pour un vol orbital. Dès lors, la guerre des étoiles battra son plein entre les deux géants du globe. En découlera une frénésie thématique et tout son lot de fantasmes, pour une génération captivée par ces croisades ouvrant les perspectives d’une nouvelle ère. Les artistes de l’époque auront eu matière aux supputations les plus fantastiques. N’oublions pas, à titre d’exemple, le péplum galactique réalisé par Stanley Kubrick (2001, l’Odyssée de l’Espace sortira sur grand écran en 1968).
En tous les cas, pour les Pink Floyd, l’imprégnation de ce souffle est indéniable. Les signaux qui leur parviennent aveuglent, battent et clignotent de manière effrayante.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J'[/mks_dropcap]ai découvert The Piper at The Gates of Dawn l’année de mes 17 ans… Flashback en 1992, avec ces copains de lycée avec qui j’avais monté un groupe dont le style diffusait un vacarme sombre mêlé de romantisme glacé. C’est à cette période qu’un de mes acolytes m’a fait découvrir les trésors d’une époque que j’imaginais plongée dans le formol des utopies, dont les clichés soixante-huitards sentaient plus la ringardise habillée de chemises pelle à tarte que la considération envers d’immenses légendes du rock. Grand bien m’en a pris puisque j’ai assez vite usé la bande de cette vieille cassette à force de me repasser en mode auto-reverse le décapant Lucifer Sam sur lesquels les miaulements organiques de Rick Wright viendront hanter ce cousin auditif des exécutions franches et héroïques de The Who.
Analogie qui permet à notre quatuor d’enchaîner sur Matilda Mother et sa gamme orientale, découvrant le panorama d’une fantaisie délicieuse. Au titre des prouesses, l’auditeur attentif notera les contours répétitifs de Roger Waters armé d’une basse éthylique téléportée en plein mirage. Embarquement dès lors pour le voyage imaginaire Flaming puis la première composition instrumentale de l’œuvre, l’intriguant Pow R. Toch H. bercé par un piano aux velléités badines, bien vite surpassées par moult cris et autres effets chimériques. La face A peut clôturer la livraison sur l’unique titre non signé par Syd Barrett, et donc par Roger Waters, l’énigmatique et percutant Take Up Thy Stethoscope and Walk.
Le déséquilibre éclatant
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J'[/mks_dropcap]aurais tellement voulu être une petite souris pour m’immiscer dans les couloirs d’Abbey Road. Les coïncidences de l’histoire faisant que les Beatles enregistraient leur huitième album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en face du studio 3, où se tramait le début d’une autre aventure. Il serait alors possible d’échafauder une théorie sur l’imprégnation réciproque entre les deux groupes. Une vague histoire de fine épaisseur phonique des membranes. Il est vrai que la mise en parallèle des deux disques pourrait s’avérer être une optique d’étude fascinante. Comment ne pas voir une corrélation entre le guilleret et subjectif Lucy In The Sky With Diamonds, et les effets secondaires de cette absorption chimique par Pink Floyd dans les audaces structurelles et improvisées d’Interstellar Overdrive ? Le monument de 9 minutes et 41 secondes où les artificiers osent le déséquilibre éclatant. Le titre qui bouscule la seconde face du vinyle est un condensé d’hallucinations sonores qui vrillent sur divers tempo avant de se perdre dans un « ailleurs » ramené à la raison par un riff de guitare, point de ralliement emprunté aux flux du hasard.
À la suite de cette déferlante, il fallait une transition de taille. Mission accomplie avec les balancements de The Gnome venant abaisser radicalement la température ambiante grâce à un enchaînement tranché, puisque marqué par une candeur sous-jacente entraînant par ricochet une accessibilité artistique bien plus immédiate. Le groupe poursuit, du coup, sa quête psychédélique au travers de chansons plus formatées, sans pour autant s’interdire quelques pincées de bouffées expérimentales. La pop est planante sur Chapter 24, dont la léthargie imbibée de trip sous acide est un délice qui laisse place tranquillement aux claquements de The Scarecrow, autre morceau empli d’onirisme et de légèreté. Clap de fin avec Bike, écrit par Syd Barrett pour sa petite amie Jenny Spires : le dernier tour de piste revêt les ornements mécaniques d’une marche déglinguée, outre une invitation à la débauche dont la présence espiègle du kazoo amplifie le tempérament malicieux.
Mono ou stéréo ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]R[/mks_dropcap]este à savoir si l’écoute de The Piper at The Gates of Dawn est plus appréciable en version mono ou stéréo ? Vaste débat qui pourra encore faire couler beaucoup d’encre d’ici des lustres. Disons tout de même que l’enregistrement mono permettra aux puristes de profiter au maximum d’une plus grosse présence instrumentale, et, pour le cas d’espèce, j’avoue être un peu plus tenté par la découverte de ces détails « cachés ». C’était en tous les cas le souhait initial de son architecte, exaucé à l’aune d’une réédition sortie en 1996.
La suite de l’épopée, nous la connaissons : Syd Barrett emprisonné dans sa propre cage, victime des excès du LSD. Une ombre au tableau, incapable de tenir son rang. Le groupe est alors contraint d’embaucher l’ami David Gilmour afin de suppléer des carences béantes. A Saucerful of Secrets, second album des Pink Floyd annoncera le départ définitif de l’intéressé le 6 avril 1968. La messe semble dite pour la petite bande avec l’éviction forcée de leur pilier. Pourtant, la barque continuera de voguer jusqu’en 2014. Au total, quinze albums studios et surtout une amplification pharaonique qui glissera au fil des saisons.
Du phénoménal concert sans public à Pompeï, en passant à la consécration suprême de Dark Side of The Moon, Pink Floyd aura gagné ses galons de formation que nous pouvons qualifier de légendaire. Dans une case à part qui influencera bon nombre de générations. En 1975, c’est un Syd Barrett métamorphosé qui apparaît dans les studios, alors que ses ex-compagnons enregistrent Wish You Were Here. Tel un fantôme venu, une empreinte laissée par un homme à la dérive.
Noël 2015. J’ouvre un paquet cadeau et découvre le coffret intégral Discovery. Je ne peux retenir la force de ma joie et mes quelques larmes d’émotion. Certes, il y a la désinhibition bien aguichée par les bulles de champagne… mais oui, je pleure !
Depuis le 11 novembre 2016, le coffret The Early Years 1965–1972 révèle une anthologie du groupe à la lumière de leurs premiers frémissements. Un excellent travail d’archivage et d’édition pour les fans hardcore de Pink Floyd.