[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e Pitchfork Music Festival c’était du 27 au 29 octobre dernier : trois jours de musique riches en découvertes !
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Premier jour, jeudi :
C’est avec beaucoup de curiosité que je me suis rendu, fébrile, à la Grande Halle de la Villette à Paris qui, pour trois jours, allait devenir une grande cathédrale de musique protéiforme.
C’est le groupe Suuns que j’ai vu en premier. Mes camarades d’Addict-Culture m’ont transmis leur passion pour ce groupe canadien complètement barré avec une chronique sur leur dernier passage à Paris (à revoir ici ) ainsi qu’un article sur leur 3e album sorti en avril dernier (à voir là), et que je m’étais empressé d’écouter.
Suuns est parfait pour commencer ce week-end, entre rock psyché et électro perchée, très très belle découverte en live ! La scénographie est minimaliste : le groupe joue quasiment dans le noir, entouré d’un light show atmosphérique des plus réussis, se perdant dans leur boucle sonore, atteignant même l’apogée avec leur morceau Translate qui me fit carrément décoller vers de nouveaux cieux.
Suuns
Une heure plus tard, sur l’autre scène, c’est à Floating Points (alias Sam Shepherd) de prendre place. Son dernier album Elaenia sorti en 2015, avait été bien accueilli, et il nous offre un set soigné plutôt réussi. J’avoue avoir profité de ce moment du concert pour retrouver des amis et aller au bar, mais cela ne m’a pas empêché de profiter d’un son agréable et entraînant. Et c’est ce qui est appréciable dans ce festival: on peut déguster la musique tout en se promenant dans la salle. Son point fort étant d’être divisée en deux espaces avec deux scènes où les groupes se relaient, permettant à la foule de circuler en fonction de ses préférences, et à chacun de voir au mieux ses artistes préférés en pouvant atteindre les premiers rangs. La Halle en son centre et l’allée latérale qui mène à la salle accueillent des points cashless et plusieurs bars, ce qui évite de faire la queue trop longtemps. Rien à redire sur l’organisation si ce n’est que les espaces sur les mezzanines avec des stands de merchandising n’ont pour moi aucune utilité dans ce genre de soirée.
J’attendais beaucoup de Dj Shadow, je n’avais jamais eu l’occasion de le voir et je n’ai pas été déçu. Si, au début du set, le son nous ramène dans les 90’s avec un scratch qui rappelle les Beastie Boys et autres groupes hip-hop électro de ces années fastes, Dj Shadow décolle littéralement après deux ou trois morceaux pour nous proposer un set très électro d’une densité incroyable. Accompagné par des vidéos projetées dans lesquelles le public déambule comme dans une forêt labyrinthique, c’est assurément l’apogée de la soirée sur le plan du son. Du très grand niveau ! Mount Kimbie enchaîne dans la foulée et fait office d’interlude assez sympathique avant l’Australien Nick Murphy alias Chet Faker très attendu. L’ambiance n’est plus du tout la même, la foule semble se réveiller, mais à la moitié du set je décide de partir, ce n’est pas ma came. Peut-être est-ce dû à la voix et au style musical qui ne me semblent pas appropriés après Dj Shadow, qui était pour moi le point d’orgue de la soirée. A mon sens, la programmation aurait gagné à être inversée. Je pars peu après minuit me réserver pour les deux autres soirs qui promettent de beaux moments.
Dj Shadow
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Deuxième jour : vendredi
C’est toujours étrange quand on se rend à un festival, car lorsque l’on revient, on a un sentiment de familiarité. Après une heure, j’ai même l’impression de ne jamais être parti !
Ce vendredi soir promet d’être festif. Je vois la fin du set de Flavien Berger : une véritable atmosphère avec un lightshow intimiste et bleuté, une rythmique entraînante, presque hypnotique. Les deux morceaux entendus laissent entrevoir quelque chose de solide sur scène et je suis un peu déçu de n’avoir pu arriver plus tôt.
Explosions in the Sky démarre dans un déluge de guitares avec un niveau sonore très fort, tout le monde se regarde, se bouche les oreilles, les amis qui m’ont rejoint pour ce deuxième soir semblent sceptiques, mais le côté plus mélodieux du combo fait surface. J’adore ce groupe que j’étais déjà allé voir sur scène; c’est ce que j’aime dans le post-rock, ce savant dosage entre montée de guitares et morceaux hypnotiques de 10mn. Un très bon concert !
Bat For Lashes s’installe de l’autre côté de la salle. Après la déflagration d’Explosions in the Sky, le groupe de Natasha Khan, toute de rouge vêtue, instaure un climat plus intimiste, plus introspectif. Personnellement j’aime beaucoup ce groupe que j’ai également vu plusieurs fois en live, mais ce soir le choix des titres est résolument calme. A l’exception de Daniel ou de What’s a Girl to Do qui ramène l’attention à elle, le public semble bouder la prestation. Et c’est là que revient la question de la pertinence de l’ordre du passage des artistes. Je sais qu’un festival fait aussi avec les demandes des groupes, mais ce n’était peut-être pas le plus judicieux après du post-rock.
Explosions in the Sky
Le Norvégien Todd Terje fait le job et distille son électro dance, ce sera le moment de se resservir au bar et surtout de se placer dans les premiers rangs pour le groupe que j’attends le plus : Moderat. Ce sont les portes du paradis qui s’ouvrent à nous à 0H05 précises, le moins que l’on puisse dire c’est que tout est hyper bien huilé niveau organisation. Moderat en live c’est absolument gigantesque (voir ici). Le public est aux anges, c’est assurément le grand moment de la soirée. Ils jouent presque une heure et demie, avec des titres du dernier album qui prennent une tout autre dimension en live. La performance est encore plus forte que leur dernier concert à Paris. Eating Books, Running, Reminder ou d’autres titres phares comme A New Error ou Bad Kingdom provoquent l’hystérie collective. Le public est chaud bouillant et aurait voulu un peu plus qu’un seul morceau en rappel, ça râle dans les rangs, d’autant que la fin de soirée avait été annoncée à 2h et qu’il n’est que 1h30. Quand c’est bon, la fin est toujours frustrante. Il n’en demeure pas moins que leur show était probablement le meilleur du festival cette année. On se rentre et on se dit avec le sourire que demain on remet ça!
Moderat
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Troisième jour : samedi
Le samedi soir annonce d’emblée une ambiance différente, c’est le seul soir complet (le prix de 54 euros a t-il été prohibitif pour le public ? À en croire les réseaux sociaux oui…). On circule difficilement toute la première partie de soirée. J’arrive pour Minor Victories qui est ce que l’on appelle un supergroupe, soit l’union d’artistes venus d’autres groupes pour allier leurs talents dans un même projet. Initié par Justin Lockey guitariste d’Editors, rejoint par Mogwai et la chanteuse Rachel Boswell de Slowdive apôtre de la dream pop (que l’on retrouve sur les excellentes B.O. de Gregg Araki). Un mur de son à l’atmosphère complètement planante avec ce timbre éthéré si particulier : je prends une grosse claque. Cette réunion au sommet est passée au monde réel avec succès, je ne sais pas si ce sera suivi d’un autre album ou d’autres performances live, je suis donc doublement ravi de les avoir vus ce soir.
On m’avait beaucoup parlé de Warpaint, groupe de rock de filles qui me laisse un peu de marbre, il ne se passe pas grand-chose sur scène. Abra sera du même ordre, sympathique mais sans grand engouement de ma part, alors que de l’autre côté de la salle, les roadies installent un haut mur de barres de fer pour le show de M.I.A. qui doit être l’artiste la plus attendue de la soirée. Fausse bonne idée de scénographie que cette métaphore de la frontière-barrière symbolisant celle du Mexique avec les USA ou les barreaux d’une cellule de prison, derrière lesquels s’agiteront des danseuses en pantalon orange rappelant les uniformes des prisonniers américains. Sur un écran en arrière-plan des projections de photos et vidéos de réfugiés sur lesquelles s’impriment des tâches de couleur façon Pop Art. Mais quand la star arrive encapuchonnée puis fait tomber le vêtement pour révéler un ensemble argenté, ça ne fonctionne pas du tout. Il y a comme une contradiction, d’autant plus flagrante dans le cadre d’un festival qui est davantage un lieu de festivités. J’aime l’idée qu’un artiste véhicule ses idées politiques et se montre militant, surtout sur la question des réfugiés, mais là c’est indigeste. D’autant que M.I.A. est accompagnée sur scène d’une danseuse-chauffeuse de salle qui à plusieurs reprises crie « Pariiiiiis », cri repris par l’artiste elle-même, mais il ne suffit pas de crier pour faire naître une ambiance digne de ce nom. Cela finit par être bruyant, grotesque, malgré l’efficacité de ses titres connus Paper Planes ou Bad Girls, le public plutôt conquis d’avance commence même à quitter l’espace alors que le rappel commence. Du gâchis.
Acid Arab
Heureusement Acid Arab passe à autre chose de façon radicale avec son électro orientale divine. Je me faisais la réflexion que le public du festival n’était pas très enthousiaste dans l’accueil des groupes et les applaudissements, mais les clubbeurs du samedi soir ont réveillé tout ça. Acid Arab a donné le coup d’envoi d’une belle nuit électro, suivi par Motor City Drum Ensemble qui, avec le changement d’heure, a joué une heure et demie alors que Daphni devait jouer à 2h15 qui était en fait le timing de l’heure d’hiver ! Pour ceux qui, comme moi, ne voulaient pas nécessairement rester trop tard c’était raté. Alors que les roadies démontaient l’autre scène, que le public restant s’était rassemblé de l’autre côté de la salle et que l’espace redevenait fluide, Motor City a exécuté un set alternant techno clubbing et titres happy, qui malgré quelques enchaînements hasardeux a au final réussi le pari de garder la foule. Il demeurait aussi certainement quelques curieux comme moi pour écouter Daphni, autre nom du canadien Daniel Snaith alias Caribou, qu’il utilise pour ses morceaux et remix plus techno. Encore un artiste que j’avais déjà eu l’occasion de voir. Vraiment, il est l’un des piliers de la scène électro de ces dernières années et ne déçoit jamais, c’était un très bon mix et les derniers fêtards étaient conquis. Ce qui nous a amenés à presque 4h du matin à un duo pour lequel j’étais curieux : Tale Of Us. Duo de Dj vivant à Berlin mais originaires de Toronto et New-York, ils s’étaient fait remarquer l’année dernière notamment comme résidents d’un gros club à Ibiza. Réputation qu’il ont très honorablement soutenue, ils ont envoyé un de ces sons ! J’avais envie de rester tellement c’était puissant mais vers presque 5h du matin, abandonnant les derniers danseurs, je m’en suis allé dans la froideur de la nuit automnale parisienne, la tête pleine d’images et de sons, revigoré d’énergie positive.
Une très bonne saison globalement pour le Pitchfork Festival avec une sélection toujours exigeante et renouvelée si on la compare à la Peacock Society ou au Weather Festival, deux autres événements parisiens plutôt enthousiasmants, mais qui devraient ouvrir leur horizon musical à de nouveaux venus.
Dans les prestations qui ont fait les temps forts du Festival je retiendrai Suuns, Dj Shadow, Explosions in the Sky, Moderat, Minor Victories, Acid Arab, Daphni etTale Of Us.
Photo – Crédit : Benjamin Ricart
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Toutes les autres photos – Crédit : Vincent Arbelet