[dropcap]C[/dropcap]inquième titre à paraître dans la collection Rue de l’Echiquier Fiction depuis sa création en octobre 2018, Les Tentacules confirme une volonté éditoriale hors des sentiers battus, qui privilégie la qualité et l’originalité à la quantité.
Thèmes et textes atypiques, voix fortes et singulières, la réussite s’est jusque-là montrée au rendez-vous. Le moins que l’on puisse dire avec le texte qui nous intéresse aujourd’hui, c’est qu’il ne devrait pas passer inaperçu, que ce soit par la personnalité de Rita Indiana, son autrice, ou par son contenu aussi barjot qu’impossible à résumer. Semblant jouir dans les Caraïbes d’une réputation flatteuse, la jeune femme, originaire de Saint-Domingue a déjà livré plusieurs romans et s’est également fait un nom dans la musique avec son groupe Rita Indiana y los Misterios.
Vivre ces deux réalités était un peu comme faire un puzzle sur une table tout en regardant les informations à la télévision; celles-ci étaient son présent prévisible et inoffensif, le monde des flibustiers était le casse-tête sur lequel il devait se concentrer et d’où il levait de temps en temps les yeux sans lâcher la ou les pièces qu’il avait en main. » Rita Indiana
Que dire, donc, d’un texte comme Les Tentacules ? Même si toute tentative de résumé semble vouée à l’échec ou à l’incompréhension, le chroniqueur désemparé essaiera d’abord d’en présenter les deux principaux protagonistes.
Acilde, d’abord, femme de ménage chez Esther Escudero après s’être prostituée pendant plusieurs années. D’elle, on retiendra avant tout que son personnage est féminin au début du roman et change de sexe quelque part dans les 160 pages qui le composent. On saura aussi qu’elle se rend coupable du vol d’une anémone de mer dont la valeur est estimée à 65000 dollars.
Argénis, quant à lui, s’il ne se pose pas de question quant à son identité sexuelle, vit à la fois au XVIIe siècle et en 2027, ce qui, il faut bien en convenir, peut également s’avérer compliqué à assumer sans inquiéter ses proches.
Dans une République dominicaine où l’hyper-technologie s’est répandue comme les armes bactériologiques dispersées par le tsunami de 2024, Acilde et Argenis vont être appelés à jouer le rôle le plus important de leur vie.
Arrivé ici, le chroniqueur s’interrompt, sceptique … Que penser des lignes qui précèdent si l’on n’a pas lu le livre ? Comment parvenir à convaincre qui que ce soit de se précipiter sur Les Tentacules plutôt que sur n’importe quel blockbuster de la rentrée ? Faut-il essayer de préciser la tentative de description faite plus haut, au risque d’effrayer l’éventuel lecteur en lui parlant tout à la fois d’écologie, de la Santería, cette religion populaire des Caraïbes, d’art contemporain, de drogues, d’identité sexuelle et de flibustiers du XVIIe ? Et tout cela en 160 pages ? On encourt ici le risque de perdre définitivement tout candidat … Et pourtant …
Et pourtant, ça fonctionne ! Emporté dès les premières lignes par l’énergie dévastatrice et la verve de Rita Indiana, le lecteur n’a guère le temps de se poser de questions quant à ce qui se déroule sous ses yeux.
Plongé sans préambule dans une société à la fois totalement inégalitaire et hyper-technologique, il ne reprendra son souffle qu’après avoir reposé le livre, étourdi par ce tourbillon d’idées et d’émotions, d’audace et (disons-le) de folie.
À l’image de son autrice qui semble mue par une espèce de feu sacré, d’énergie dévorante, Les Tentacules, en brassant cultures et religions, histoire et actualité réussit la prouesse d’être à la fois cohérent malgré sa frénésie, digeste malgré tous les ingrédients qui le composent et accessible en dépit de l’érudition qui le sous-tend.
Enfant terrible de son époque et de son île, Rita Indiana livre ici un roman qui parvient à embrasser quelques-uns des enjeux de notre monde. Elle le fait sans trace d’arrogance ni de vanité, donnant simplement l’impression d’être déjà loin devant nous ou quelque part au-dessus de nos têtes. On en redemande !
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Les Tentacules de Rita Indiana
Traduit de l’espagnol (République dominicaine) par François-Michel Durazzo
Éditions Rue de l’Echiquier, 3 septembre 2020
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Image bandeau : Pexels / Pixabay