Attention ovni !
En 1994, James Kelman, auteur écossais publie « How late it was, how late » qui sera couronné du Booker Prize la même année.
Ovni car quand on commence le roman, on ne s’attend pas du tout à la tournure qu’il va prendre.
D’abord plutôt classique et loufoque, notre héros Sammy, se réveille de deux jours de cuite mémorables. Mémorables ? Pas tant que ça car justement, de souvenirs aucun, à part une phénoménale gueule de bois. Tout juste une sévère engueulade avec sa compagne.
Il se retrouve à peine, rassemble ses idées, s’aperçoit que ses chaussures ne sont plus là, remplacées par des baskets immondes.
Souci, la police arrive, le provoque plus ou moins, il réagit, frappe un policier et se trouve embarqué.
Si l’histoire, disions nous, prend une forme plutôt classique, le style lui est pour le moins déconcertant.
Ce n’est pas Sammy qui parle. C’est un narrateur qui alterne entre le « il » et un étonnant « tu » censé représenter les pensées de Sammy. Les changements sont constants d’une phrase à l’autre, ce qui donne un rythme parfois halluciné, d’autant qu’il y a aussi des dialogues où Sammy dit « je ».
« Tu te réveilles dans un coin et tu restes là en espérant que ton corps va disparaître, les pensées t’étouffent… Retour progressif à la conscience, de l’endroit où t’es : là, effondré dans ce coin, avec ces pensées plein la tête. Et oh bon Dieu ce qu’il avait mal au dos : raide, et la tête qui résonne. Il a frissonné et voûté les épaules, fermé les yeux, gratté les coins du bout des doigts; voyant toutes sortes de points et de lumières. Mais putain où il pouvait bien…«
Soulignons tout de suite que la plupart de ces dialogues sont d’une drôlerie délicieuse et souvent aussi d’une acidité dérangeante.
Enfin, ce roman est un bloc texte. Pas une seule page blanche pour changer de chapitre. Il n’y a pas de chapitre. 400 pages de texte, un seul corps.
Si tard, il était si tard est une sorte de After hours littéraire, tour de force réjouissant sous l’influence de Kafka pour toute la partie police et sécurité sociale. Car Sammy, lors de son empoignade avec les policiers, se réveille aveugle. Sa bataille commence pour faire reconnaître son incapacité, son humanisme va se heurter à la bureaucratie et à sa grande méfiance.
Si tard, il était si tard de James Kelman, traduit de l’anglais (écossais) par Céline Schwaller, Editions Métailié, août 2015