[dropcap]U[/dropcap]ne leçon de dignité. Avec Stardust, Léonora Miano frappe fort – à nouveau. La claque est puissante, mais comme toujours élégante. A ceux qui ne connaissent pas encore la plume majestueuse et mordante de cette autrice : découvrez-là par ce roman puissant. A ceux qui pensent que cette écrivaine a tendance à « faire littérature » : foncez sur ce roman sans fioriture, plus accessible mais tout aussi percutant que ses textes plus récents. A ceux qui ont peiné sur ses autres romans à la plume chargée : réconciliez-vous grâce à ce texte d’une étonnante sobriété.
Le qualificatif de roman ne tombe d’ailleurs pas sous le sens. Mais l’écrivaine y tient, même si elle s’est largement inspirée de sa propre histoire pour écrire ce texte. Peut-être parce qu’elle est parvenue à la sublimer, au sens premier : à passer d’une matière à une pensée.
La matière ? L’histoire de Louise, jeune camerounaise débarquée à Paris. De sa romance avec un musicien, tout est allée très vite, et bientôt Bliss est née. Sa fille, qu’un matin elle a pris sous son bras, consciente qu’avec cet homme immature, rien n’allait fonctionner. Seule, sans argent ni papiers bien ficelés, elle atterrit dans un centre d’hébergement pour femmes où elle va côtoyer d’autres mères isolées. Où elle va surtout observer, sans empathie particulière et avec un regard acéré.
Elles sont dans une France souterraine d’où elles entendent la rumeur du pays qu’elles croyaient trouver : celui où elles devaient devenir des êtres modernes, développés.
Léonora Miano
Bien au contraire, Louise garde ses distances avec ces « sœurs de galère ». Au point pour le lecteur de se demander si Léonora Miano, en publiant ce texte maintenant, n’avait pas envie d’en découdre avec la désormais sacro-sainte sororité. Car dans le centre d’hébergement où Louise a atterrit, les jugements vont bon train, les maigres biens sont volés, l’irrespect passe par la saleté. Point d’élan du cœur ou de réconfort gratuit, les femmes restent isolées. Dans la réalité de Louise, la solidarité et le féminisme restent à l’état de concepts douteux, presque dangereux.
La pensée ? Eclairante, forcément. Car Miano, on le sait désormais, creuse profondément derrière la fiction. Ses précédents romans, situés pour l’essentiel en Afrique, sont loin des clichés sensuels et colorés. Dans L’Intérieur de la nuit que l’on croyait alors être son premier roman, l’autrice interrogeait les conséquences du commerce des esclaves et de la colonisation. Les européens n’ont pas seulement pris les hommes et des femmes : ils ont déchiré des structures familiales traditionnelles. Ils n’ont pas seulement pillé les ressources : ils ont détruit des organisations sociales séculaires, laissant des individus sans repères.
Elles viennent de l’ancien Empire colonial, si grand que jamais le soleil ne s’y couchait. Territoires jadis occupés où on a injecté dans le sang des peuples qu’être français valait mieux que tout. On s’est démené pour que les Subsahariens rêvent de France. On leur reproche d’avoir trop obéi.
Léonora Miano
Une réflexion plus aboutie encore dans ses romans suivants, qui s’inspireront des travaux sur la « Mémoire de la Capture » pour décrire les traumatismes qui ont hypothéqué les sociétés africaines jusqu’au XXIe siècle. Une thématique fondatrice dont on sait désormais qu’elle anime l’autrice depuis plus longtemps encore.
Car Stardust est en vérité un premier roman, longtemps gardé au chaud et désormais ressorti d’un tiroir. Mais il n’est pas possible d’y voir un roman de jeunesse tant le propos est d’une grande lucidité. Déjà il est question de la construction de l’individu dans un collectif lui-même fragilisé. Déjà il est question de blessures très lointaines dont les plaies suintent encore abondamment.
Un récit de la solitude et de la quête d’une place dans un monde déstructuré. Un récit terriblement d’actualité, qui dévoile que le talent de Léonora Miano était arrivé très tôt à maturité.
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Stardust de Léonora Miano
Editions Grasset, 2022
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