[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]oin de se reposer sur les lauriers récoltés par ses deux premiers opus, Jérôme Amandi alias Talisco repart en croisade, armé du manifeste hédoniste « Kings and Fools ». Rencontre avec un jouisseur frénétique à la veille d’un nouveau sacre.
Le 1er single extrait de « Kings and Fools », « Sun », renoue immédiatement avec ton premier disque « Run ».
Ce choix était-il dicté par le souhait de capter à nouveau un public que la direction prise sur ton 2e album « Capitol Vision » a pu surprendre ?
Jérôme Amandi : Non, je m’en suis rendu compte a posteriori, ce n’était pas calculé. D’ailleurs, je m’interdis ce genre de plan et m’empêche d’intellectualiser en essayant de composer mes morceaux le plus rapidement possible, d’une manière impulsive. Sinon je me perds.
« Sun » en est le premier extrait mais c’est aussi celui qui le conclut, sur une note plus calme. J’ai choisi « I’m The Dead Man » pour start, parce que c’est le premier titre que j’ai écrit et qu’il a préfiguré la gueule du disque.
Lorsque je prépare un album, je le conçois dans son ensemble en recherchant une cohérence globale et un équilibre dans la tonalité des différents morceaux. Pour « Kings and Fools », j’ai pris une orientation très brute et nerveuse, avec beaucoup de densité. Après deux mois de travail, un peu comme un tableau que j’aurais trouvé trop sombre, j’ai réalisé que je devais lui apporter une note plus lumineuse et aérienne ; c’est ainsi que sont également apparus « Closer », « To You » et « Two Hands ».
« Sun » illustre aussi le générique de la série « Un si grand soleil » sur France 2. Les morceaux « Your Wish » et « The Keys » extraits de « Run », mais aussi « Follow Me » et son riff de guitare (sur « Capitol Vision ») ont été utilisés par de grands annonceurs. Si bien que le grand public connaît tes musiques sans parfois savoir quel est l’artiste qui se cache derrière.
J.A. : Quand France 2 s’est rapproché de moi, j’ai tout de suite voulu connaître le propos de cette série. Je n’ai pas vraiment compris leur démarche car elle appelait selon moi, de façon assez logique, une chanson en Français autour d’un gimmick plutôt simple. Mon morceau « Sun » était le plus approprié, notamment parce que, par pur hasard, son titre porte le même nom ! J’ai trouvé audacieux de la part de l’équipe que j’ai rencontrée qu’elle le retienne parce que ça contraste complètement avec les choix habituels.
La majorité des gens me connaît uniquement à travers ces musiques de pubs en effet. J’ai souvent l’occasion de le tester, quand les chauffeurs de taxi me demandent mon métier par exemple, c’est bingo à chaque fois… Et tu sais quoi ? Je préfère ça que rien, déjà. Quant au reste, je m’en moque parce que j’ai la chance de voyager beaucoup et de constater que la France fait partie de ces rares pays qui ont un problème avec ça. Partout ailleurs, les artistes s’affichent, sans états d’âme ni peur des remarques, en quatre par trois avec une barre de céréales (rires) ! Ici, tu auras toujours des gatekeepers artistiques pour te dire que tu t’associes à une marque. Et là, moi je décroche, je ne rentre pas dans ce débat.
En publicité, comme dans le cinéma, on vient piocher dans tes morceaux en les conservant intacts. Les radios, elles, exigent un format, coupent ta chanson ou te reprochent qu’elle ne soit pas assez efficace. Tu es davantage pris au piège.
Ce 3e album s’intitule « Kings and Fools », desquels des deux te sens-tu le plus proche ?
J.A. : Des deux ! C’est génial de prendre de la hauteur et à l’inverse de péter un câble quand ça te prend. On fait de soi ce que l’on veut et de sa vie un vrai délire si on le souhaite. Je revendique la liberté d’être quelqu’un d’autre parfois et d’agir selon mes envies du moment.
[mks_pullquote align= »left » width= »230″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Je revendique la liberté d’être quelqu’un d’autre » [/mks_pullquote]
Ce titre renvoie à des projections de soi, en lien avec le monde dans lequel on vit. Quand tu ouvres les réseaux sociaux et que tu observes la façon dont les gens les exploitent et jouent avec leur image, tu te dis qu’on est vraiment une belle équipe de tarés… et je m’inclus dans le lot !
Et puis ces deux mots que j’associe ont une portée symbolique qui va au-delà de la réalité. La pochette du disque illustre ces fantasmes d’exubérance, de luxe et de puissance, de luxure et de brutalité. Je me suis mis en scène autour d’éléments forts pour montrer ces différents états d’esprit.
L’écriture et le chant en Anglais étaient-ils liés dès tes débuts à une ambition internationale ?
J.A. : C’est du plaisir avant tout. Mes parents sont Espagnols et, bizarrement, ils n’écoutaient que de la musique anglo-saxonne à fond dans la baraque quand j’étais gamin. Elle m’a bercé et transporté même si je ne comprenais rien aux paroles. Je me suis mis très tardivement à les écouter vraiment, après mes vingt ans. Ne pas savoir ce que les artistes racontaient dans leurs chansons ne m’empêchait pas de ressentir énormément d’émotions, tout simplement parce que ça m’évoquait un truc très fort. Depuis, c’est ma manière de concevoir la musique.
L’Anglais est donc le format qui me parle le plus. Ce n’est pas qu’il soit plus facile pour moi, mais c’est mon axe de travail. Le rythme et la sonorité qu’il donne aux mélodies correspondent le mieux à ce que je recherche. Pour autant, je ne boude pas le Français. Je trouve notre langue très belle et j’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui la manient très bien et savent écrire de superbes textes. Ce n’est simplement pas fait pour moi.
Tu as donné plusieurs concerts en Amérique du Nord. Cette Amérique était d’ailleurs au cœur de « Capitol Vision ». Qu’as-tu retenu de cette expérience ?
J.A. : L’excès, l’excentricité, l’extravagance. Les Américains sont complètement fous, psychologiquement et physiquement. Tiraillés en permanence entre des extrêmes, ils vivent entre deux voies. Je n’ai rencontré là-bas que peu de gens modérés, principalement dans les grandes villes du Nord-Est (Chicago, New-York).
Ils ne seraient pas contents de m’entendre parler d’eux comme ça, mais c’est mon regard. Celui d’un spectateur halluciné par leur mode de vie, entre fascination et appréhension. Cette réalité que je retiens, parmi d’autres, est passionnante et inspirante parce qu’elle me dépasse. Chaque fois que j’y vais, j’ai immédiatement envie de raconter quelque chose ! J’ai besoin d’y retourner souvent.
Le « son » Talisco est très identifiable. Est-ce important pour toi qu’il y ait quelque chose de très distinctif dans ta musique ?
J.A. : Oui, sauf qu’aujourd’hui je ne le fais plus exprès. Tes pâtes à la carbonara, tu ne sais pas les faire autrement que comme tu les fais… Eh bien, c’est exactement ça. La recette à laquelle j’ai abouti m’échappe mais c’est le goût que j’aime. Cette saveur-là, et pas une autre, est devenue ma patte !
C’est subjectif et totalement propre à moi mais j’ai désormais l’impression que je ne peux plus me planter, en dehors de ce qu’en pensent les autres. J’ai une idée très précise de là où je vais, des gens avec lesquels je veux travailler et de la manière dont ça doit sonner.
La force de ta voix et l’emphase des chœurs impressionnent toujours. Comment les travailles-tu ?
J.A. : J’enregistre mes voix seul en home studio. Je recommence jusqu’à obtenir le résultat qui me convient. J’en suis très satisfait sur cet album.
Je comprends qu’on puisse regretter de ne pas m’entendre d’une façon plus douce, en proximité, comme sur « Closer » qui ravit ma mère, mais je dois avouer que ça m’ennuie un peu. J’aime la dimension chorale, très dense et tendue, avec des voix haut perchées comme dans la musique Irlandaise même s’il est difficile d’en reproduire certaines en live. J’aime ce côté héroïque d’entrer sur scène comme sur un ring au milieu d’une arène pour mener un combat. Les voix renforcent cette idée.
Tu sembles résolument ne pas vouloir choisir entre rock et électronique. Pour autant, les synthés sont davantage présents avec un rythme et des montées extatiques proches de la musique dance, house ou techno de club (sur « King For One Day », « I’m The Dead Man », « To You », « Someone », « Sensation »).
J.A. : En réalité, je me mets en difficulté en faisant ça (rires). Parce qu’en dehors de l’énergie supplémentaire que cela crée, ça complique toute la partie technique du live. J’ai démarré ce disque en me disant que je devais en tenir compte et puis j’ai finalement mis les deux pieds dedans !
Je me suis retrouvé à rajouter trois couches de fanfare, des cuivres sur « Dead Man » par exemple, alors que je n’ai pas les moyens qui vont avec. Qu’à cela ne tienne, on le fera différemment, en tapant sur un sampleur.
[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Je suis guidé par la vitalité, je puise dedans pour la retranscrire, l’incarner et la transmettre. » [/mks_pullquote]
Les tournées précédentes, les concerts des Vieilles Charrues ou du Main Square en particulier, m’ont beaucoup influencés. Je veux en envoyer une tartine, finir trempé de sueur, que ce soit mon exutoire en communion avec le public.
Justement, comme souvent avec toi, il se dégage une énergie positive et communicative. Une ambiance très vive autour de véritables hymnes, mais surtout chaleureuse et humaine. Je pense notamment aux morceaux « King For One Day », « Sunny Boy » ou au plus intimiste « Plain » ?
J.A. : Tu parles ici précisément de ma personnalité ; c’est ma nature en effet. J’ai choisi de vivre en essayant d’aller toujours de l’avant et de garder la pêche. Je suis guidé par la vitalité, je puise dedans pour la retranscrire, l’incarner et la transmettre.
La musique est tordue. Elle t’aspire totalement, sauf si tu te mens ou survoles ton travail, et elle te conditionne directement : autant choisir le bon mood. En définitive, il n’y a dans ce disque que des messages solaires. Alors certes, « Two Hands » est un morceau dur, plombant, mais avec moi, c’est un ou deux par album maximum, sinon, next !
« Kings and Fools » de Talisco
Sortie le 29 mars 2019 chez Roy Music
En tournée à partir du 26 mai 2019
Merci à Delphine Caurette