Une fois n’est pas coutume, c’est de deux albums jeunesse dont nous allons parler aujourd’hui. Si tous deux sont parus aux éditions Saltimbanque, ces deux albums partagent plus qu’un éditeur puisqu’ils s’intéressent, de manières différentes, aux fantômes de l’amour.

En effet, dans Je déteste tout ! de Sophy Henn, ces fantômes apparaissent au sens propre puisqu’il s’agit des deux personnages principaux. Le premier clame sa détestation permanente, tandis que l’autre répond doucement et interroge, nuançant ainsi la radicalité du premier fantôme. Après énumération (les bonbons, les déguisements, etc…), il doit bien constaté qu’il aime finalement tout. Jusqu’à la chute qui déclenche des éclats de rire en apportant de la nuance. Ouf ! Cet album à l’humour décalé rappelle, avec sobriété graphique et dialogues minimalistes, l’importance de cultiver le verre à moitié plein. Subtil et imparable.
Pour sa part, Te laisser partir évolue dans un registre plus poétique. Les fantômes ne sont pas palpables (mais peuvent-ils réellement l’être ?) et font plutôt référence à l’amertume et la lourdeur de certaines relations. Dans ce livre de Danielle Chaperon et Nathalie Dion, une enfant capture un arc‑en‑ciel, le place dans un bocal et prend soin de lui en permanence. Toutefois, l’arc‑en‑ciel à l’allure anthropomorphique perd petit à petit son sourire. Alors, un jour, l’enfant comprend. Aimer, ce n’est pas enfermer. Ce n’est pas restreindre. Elle ouvre le bocal et libère l’arc-en-ciel qui reprend sa place près des nuages et du soleil, non sans adresser un clin d’œil à celle qui l’avait capturé. Une histoire sur le don de soi, la liberté et la confiance, sublimée par des illustrations pastel douces. Une fable tendre, dans laquelle l’émotion émerge silencieusement.

Ces deux albums dialoguent. L’un parle de ce que l’on rejette par peur, colère ou méconnaissance, et l’autre de ce que l’on retient par amour, quitte à générer de la souffrance. Entre les deux, il y a cette frontière commune et fragile entre aimer et contrôler.
La justesse de ces deux albums, comme souvent chez Saltimbanque, réside dans cette capacité à raconter des émotions complexes en peu de mots et avec des visuels simples : le noir et blanc ponctué de couleurs chez Henn, et les tons pastels poétique chez Chaperon et Dion. Partout, la mise en page est fluide, sans surcharge, juste ce qu’il faut pour stimuler l’imagination et inviter à la discussion avec les enfants, tandis que l’édition est sublime;
Au final, ces deux albums offrent une méditation joyeuse et accessible sur les émotions, de la colère à la félicité, en passant par la possessivité, le lâcher-prise ou la confiance. Je déteste tout ! amuse et met en garde contre le poison du rejet systématique. Te laisser partir berce et élève, rappelant que l’amour authentique inclut la liberté. Ces deux ouvrages sont accessibles dès 4 ans.