La sortie de In And Out Of The Light, nouvel album de The Apartments était aussi inattendue et inespérée que celle de No Songs, No Spell, No Madrigal, son prédécesseur. Quinze ans après Apart, Peter Milton Walsh nous avait alors gratifié d’un disque bouleversant et intemporel sur le deuil. Le meilleur d’une carrière comportant déjà nombre de disques remarquables. Son auteur compris, beaucoup pensaient que The Apartments allaient alors tirer leur révérence. Comment était-il possible de surpasser ce disque ? C’était sans compter sur le caractère imprévisible de Mr Walsh qui, de son propre aveu, n’est pas du genre à planifier quoi que ce soit.
Pour In And Out Of The Light, il a poussé sa spontanéité jusqu’à composer directement pendant les sessions d’enregistrement. Il en ressort une fraîcheur et une beauté n’étant pas sans rappeler occasionnellement les débuts du groupe. Accompagné dans la conception de l’album par Natasha Penot, Antoine Chaperon, Nick Allum et Eliot Fish, Peter Milton Walsh a réussi l’impensable en plaçant la barre aussi haut que sur No Songs, No Spell, No Madrigal. En compagnie d’Antoine Chaperon, il revient dans ce long entretien sur la création du disque, l’importance de ses collaborateurs, son album préféré du groupe et livre aussi des anecdotes passionnantes sur ses débuts.
Quel est le titre qui a donné la direction à In And Out Of The Lights et pourquoi ?
Peter : Pour cet album, aucun. J’ai enregistré l’album en plein hiver. À Sydney, c’est synonyme de grand ciel bleu ou à l’inverse d’un blanc aveuglant, et d’un froid glacial. Je passais d’une lumière intense à l’extérieur à celle, sombre, d’un studio éclairé par quelques lampes. J’avais l’impression de changer de monde. J’entrais dans celui de mes chansons. Une constellation de personnages et d’histoires. Quand je pense aux personnages de mes chansons, leurs vies reflètent les nôtres. Ils traversent des périodes troubles, souvent sombres, mais ils passent parfois de l’autre côté de la barrière.
Antoine : Le mot d’ordre avant de commencer l’enregistrement était d’aller à l’épure. Au final, l’album est plus arrangé que prévu, mais il n’est pas une redite de No Songs, No Spell, No Madrigal, dont l’accouchement avait été douloureux. Natasha Penot et moi avons attendu l’arrivée des premières chansons assez longtemps. Elles étaient fidèles à ce que nous espérions. Moins sombres. Après un disque sur la mort, l’étape suivante était logique : un disque sur la vie.
L’enregistrement s’est effectué à distance, entre la France, l’Angleterre et l’Australie. Quelle place as-tu laissé à tes collaborateurs ?
Peter : Rien ne s’est passé comme prévu. J’avais planifié de me rendre au studio d’Antoine à Tours en septembre 2019 pour travailler avec lui, Natasha Penot et Nick Allum. Suite à ça, j’allais rejoindre Victor Van Vugt à Berlin pour le mixage. C’est lui qui a produit The Evening Visits, mon premier album. Il a aussi collaboré avec PJ Harvey, Nick Cave, Robert Forster et beaucoup d’autres. En résumé, un album enregistré de façon traditionnelle, rapidement. Il fallait que j’envoie quelques démos aux autres membres du groupe pour qu’ils se préparent à mon arrivée. J’ai donc travaillé sur deux chansons, et j’y ai pris un plaisir fou. J’ai particulièrement apprécié le processus de découverte des chansons. C’est pourquoi j’ai décidé d’arrêter de travailler sur des maquettes et de composer l’album directement en studio. Je voulais à tout prix garder de la fraîcheur.
Antoine : De notre côté nous avons travaillé de la même façon que sur l’album précédent, en apportant beaucoup d’idées et de matière. Chacun avec son prisme. Ce n’était pas toujours évident, mais grâce à la somme de ces idées, Peter a pu aller piocher ce qui l’intéressait. On travaillait en flux tendu car Peter composait en studio. Une chanson rebondissait sur une autre etc. Nous nous sommes donné une ligne directrice. Retranscrire l’atmosphère de nos concerts. Nous voulions laisser de l’espace mais aussi donner une personnalité à chaque titre.
Peter, était-ce pour toi une façon inédite de travailler ?
Peter : Pas exactement. Quand je suis entré en studio pour enregistrer Mr Somewhere, en dehors des paroles et du refrain, je ne savais pas du tout à quoi le morceau fini allait ressembler. J’ai cherché quelqu’un capable de m’accompagner sur une piste identique. Le hasard a fait que j’ai trouvé cette personne à Sydney, à dix minutes de chez moi. J’ai aussi trouvé un producteur génial, Tim Kevin, avec une ouverture d’esprit et une oreille incroyable. Je l’ai prévenu que je viendrais parfois sans fondation de chanson, sans vraiment savoir ce que j’allais faire. Il a écouté les deux démos et quelques autres idées et s’est montré enthousiaste. J’avais trouvé la bonne personne pour s’adapter à ces circonstances. Il y avait pourtant quelques contraintes. Son calendrier était déjà bien chargé, et il souhaitait être présent pour ses enfants. Nous avons donc travaillé avec des horaires de bureaux. Il devait partir récupérer ses enfants à l’école. C’était inhabituel pour moi. Parfois nous ne nous voyions pas pendant deux semaines. Spirituellement, c’était l’idéal car nous n’avions pas de pression.
Antoine, inversement, cela n’a pas été vecteur de stress ? Vous deviez être sans arrêt dans l’attente d’instructions.
Antoine : La seule pression que j’avais, je me l’imposais. Je voulais donner le meilleur. Si nous avions enregistré l’album à Tours en deux semaines, le résultat aurait été différent. Nous n’avons pas eu de contrainte de temps. Ça nous a permis de tenter des choses, d’expérimenter. Natasha a développé des idées de chant de son côté. J’ai travaillé du mien sur les instruments et nous avons enregistré beaucoup de matière ensemble. Parfois des choses très différentes pour explorer plusieurs pistes. Peter a arbitré.
La préparation et l’enregistrement de No Song, No Spell, No Madrigal avaient été plus compliqués. Quel souvenir en gardes-tu ?
Peter : Pour No Song, No Spell, No Madrigal, j’avais tous les titres en tête depuis longtemps. Je savais exactement comment ils devaient sonner. Je l’avais composé assis à la table de ma cuisine. Mes enfants me dérangeaient sans cesse pour se servir dans le frigo ou me parler. Je n’arrivais pas à finir mes chansons (rires). De toute façon, je ne savais pas si j’allais les enregistrer un jour avant de rencontrer Wayne Connolly, le producteur. Je me suis assis au piano et je lui ai joué 6 ou 7 chansons. C’était la première fois que quelqu’un les entendait. Il m’a dit parfait, je suis libre à partir du 14 octobre prochain pour commencer l’enregistrement. Je me suis dit OK, je vais peut-être enregistrer un nouvel album. C’était comme redémarrer de zéro. Je n’avais pas mis les pieds en studio depuis tellement longtemps. Ça m’a aidé pour le nouvel album car Wayne est un producteur perfectionniste. Il a dû enregistrer 300 albums. C’est le genre de personne à enchaîner les prises jusqu’à ce qu’elles soient parfaites. Je suis plutôt du genre à abandonner après deux tentatives si ça ne marche pas. Je suis revenu à cette méthode avec Tim car j’inventais les chansons dans le moment.
Depuis ton retour avec No Songs, No Spell No Madrigal il y a 5 ans, ta voix est plus mise en avant, moins noyée sous les effets. Cela ajoute à l’effet poignant des chansons. Te considères-tu meilleur chanteur aujourd’hui ?
Peter : Le côté brut et frais sur des vocaux est le reflet de ces méthodes. Chaque couleur utilisée est imprégnée de mon âge et des expériences de la vie. Je n’y ai pas travaillé. Peu de gens le savent mais je suis le plus grand fan au monde de Frank Sinatra. Il y a deux Sinatra différents. Celui d’avant et après Ava Gardner. Le premier est plein d’espoir, joyeux, bourré d’ambitions. Le deuxième est un homme différent, le cœur brisé car il s’est fait larguer. C’est un bien meilleur chanteur. Ma vie est différente de la sienne, mais ma voix a changé à cause des expériences que j’ai vécues. Les méthodes de production ont également changé. Dans les années 90, on ne lésinait pas sur la reverb. C’est un mauvais réflexe que je garde toujours en moi. Quand le producteur a le dos tourné, j’ai tendance à ajouter de la reverb (rires). Le studio de Tim est minuscule, mais très bien équipé. Il a du matériel vintage de qualité qui a aidé à mieux capturer ma voix.
Antoine : Peter et la reverb, c’est une grande histoire d’amour. Il trouve sa voix beaucoup plus touchante comme ça. En baissant la reverb au maximum, on a l’impression qu’il chante dans la même pièce que toi. Je trouve qu’il a gagné en profondeur et en intimité. Les producteurs des deux derniers albums ont fait un excellent travail. Ils ont réussi à amener Peter dans de nouvelles directions.
We Talk Through Till Dawn a été enregistré en live en une seule prise. Pourrais-tu nous en dire plus ?
Peter : J’avais déjà travaillé de cette manière. Fête Foraine a été enregistré en quasi live. Je savais comment ces chansons pouvaient sonner dans leur plus simple élément. Une guitare, une voix, un piano et parfois de la flûte ou un cor. Avec Chris j’ai enregistré She Sings To Forget You de cette façon. Il était au piano, j’étais dans la pièce de contrôle juste à côté. Il voulait que je sois présent. Il m’a ensuite conseillé de venir chanter avec lui. On a branché un micro, enregistré, et en une prise, tout était bouclé. Il faut parfois saisir l’instant et se dire stop, ça suffit, c’est très bien comme ça.
Peter, on connait ta passion pour le cinéma. Dirais-tu que tu composes certains titres avec des références cinématographiques en tête, aussi bien musicalement que pour les textes ?
Peter : Pas vraiment. J’essaie juste de capturer des événements qui m’arrivent où auxquels je pense. Mes chansons fonctionnent mieux ainsi. Je ne planifie rien, ce n’est pas mon caractère. Je suis un spontané. Je me souviens de la première fois où j’ai tourné avec Natasha et Antoine, je ne jouais jamais les chansons de la même façon. Ça a dû être frustrant pour eux. Ils ont fini par s’y faire (rire). J’ai un bon sens de ce qui fonctionne ou pas. J’ai des visions quand je compose. Si je pouvais faire autrement, je n’hésiterais pas (rire).
Les titres de ce disque parlent beaucoup de reconstruction de soi après avoir traversé des épreuves. Ce thème peut être à la fois très personnel et universel. Penses-tu que c’est l’une des raisons pour laquelle les fans de The Apartments sont aussi fidèles ?
Peter : Il y a une différence entre les chansons autobiographiques, j’en ai composé certaines, et les chansons autour d’expériences personnelles. Tout le monde vit des expériences personnelles. Leur vie se reflète parfois dans mes chansons. Écrire des titres personnels ne signifie pas pour autant que je parle de moi. Il est peut-être facile de s’y identifier car je construis un univers avec des personnages. Certains se croisent parfois entre les chansons.
Tu as appris de nouvelles façons de jouer de la guitare il y a quelques années. Cela a-t-il eu un effet sur l’écriture des nouveaux titres ?
Peter : J’ai beaucoup travaillé le finger picking avant la tournée de 2018. Combiné à de nouvelles pédales d’effet, j’ai réussi à emmener certains titres dans une direction plus orchestrale. Une fois la tournée terminée, je suis revenu à mes vieilles habitudes. Je peux parfois être fainéant (rires).
On a tendance à penser que tu es le seul maître à bord de The Apartments. Tu laisses pourtant une bonne place à tes musiciens.
Peter : Avec Antoine et Natasha, nous échangeons beaucoup de fichiers. Ils me connaissent suffisamment pour ne pas m’envoyer quelque chose qui sonne comme Pavement. J’adore la voix de Natasha. Elle fonctionne particulièrement bien sur cet album. Je voulais lui donner un côté aérien. Sa voix possède cette qualité. Miro, le trompettiste, a un talent exceptionnel. Les producteurs qui travaillent avec lui n’en reviennent pas. Une seule prise suffit. C’est un Tchécoslovaque qui ajoute naturellement de la mélancolie dans tout ce qu’il joue. J’ai beau composer une accroche, tout le reste, c’est lui qui l’apporte. J’adore sa tonalité. Même si je n’ai pas composé sa partie de trompette, je trouve que ce qu’il a joué de mieux sur l’album est Pocketful Of Sunshine. C’était spontané, complètement improvisé.
Antoine : J’ai beaucoup travaillé sur les arrangements de guitares. J’ai aussi enregistré les cordes. Au final, on en retrouve peu sur le disque. Mais nous voulions avoir de la matière dans un coin au cas où. Peter joue le rôle de l’arbitre. Il n’y a pas d’ambiguïté, The Apartments, c’est son bébé. Il nous fait confiance à 100%. On peut même se permettre d’appuyer des choix quand il n’est pas convaincu. Il prend chacune de nos remarques en considération. Nous avons commencé à travailler ensemble pour le single Black Ribbons. Il m’a juste envoyé des accords de piano et j’ai fait tout le reste. J’étais persuadé qu’il allait me remettre à ma place. Il a juste dit OK, super, on sort le titre en single. C’est ce que j’ai fait de plus extrême avec lui, mais ça en dit long sur sa confiance.
Antoine, est-ce le cas également sur scène ?
Antoine : En live, l’image véhiculée est différente. De toute façon en concert c’est du Peter à 100%. Nous ne sommes là que pour tenter de sublimer ce qu’il fait. Peter étant imprévisible, nous ne donnons jamais le même concert. Nous devons être attentifs à ce qu’il fait car il décide de tout. Le résultat est étonnant car nous répétons peu.
C’est une constante dans la discographie du groupe, l’album comporte peu de titres (8 pour le dernier ndlr). Y a-t-il une volonté de ne pas perdre l’auditeur pour qu’il s’imprègne au maximum de ton univers ?
Peter : Il faut surtout que je sois satisfait de la chanson. A chaque fois que j’en termine une, j’ai l’impression que je n’arriverai plus jamais à lui donner suite. Pour Pocketfull Of Sunshine, je n’avais pas envie de vivre la contrainte de voir si j’avais d’autres chansons en moi, ni de revenir sur de vieilles chansons non utilisées. Je ne suis pas une exception. Songs Of Love And Hate de Leonard Cohen n’a que huit titres. Astral Weeks de Van Morrison également. Si chaque chanson se distingue bien des autres et si l’on atteint les 35 minutes, ça me va. C’est suffisant pour rentrer dans mon univers. Je suis nostalgique de la période où je rentrais dans celui des artistes quand j’étais gamin. J’adorais acheter un nouvel album. Je me dépêchais de rentrer de l’école pour l’écouter en boucle. Je ne répétais pas ce rituel pendant une semaine, mais pendant plusieurs mois. J’écoutais mes disques jusqu’à l’usure. Aujourd’hui encore, j’aime m’allonger sur le sol, la tête entre les enceintes et écouter un disque sans rien faire d’autre. Mon fils a 22 ans et il est comme moi, un passionné du format album. C’est un fan de Joanna Newsom, Bill Callahan, Sufjan Steven et bien d’autres. Et en plus c’est idéal pour la qualité du son des vinyles.
Tu as choisi de sortir l’album à une période où tourner pour promouvoir le disque est impossible. As-tu hésité à repousser la date de sortie ?
Peter : J’ai beaucoup de chance d’être capable d’enregistrer un album. C’est un miracle pour quelqu’un d’aussi chaotique et désorganisé que moi. Je n’ai pas été aussi affecté par les conséquences du coronavirus que beaucoup d’autres artistes et acteurs du métier. Je n’ai plus 20 ans. A cet âge, être dans un groupe c’est comme être dans une famille. C’est toute ta vie, ton identité. Tout ça s’est envolé d’un coup pour nombre d’entre eux. Leur univers a disparu. Contrairement à ces musiciens, j’ai d’autres choses dans mon univers. Je n’ai pas à me plaindre, même s’il m’est impossible de promouvoir l’album dans des conditions normales.
En étant honnête, je n’ai fait de la véritable promo que pour No Song, No Spell, No Madrigal. Je dois cette opportunité à l’équipe de Microcultures. J’étais surpris que des gens soient encore intéressés par mon travail. Pour In & Out Of The Lights, Sean de Talitres est conscient de la situation. Il l’a acceptée. J’ai envie de jouer ces nouvelles chansons sur scène. Mais bon, ce n’est pas gagné. Je ne me souviens déjà plus de la façon dont j’ai accordé ma guitare pour la majorité d’entre elles (rire). J’aimerai les interpréter sans avoir à jouer de la guitare, pour me concentrer sur le chant. Les prestations live sont des moments magiques. Je suis complètement absorbé. Il m’arrive de ne plus me souvenir de ce qui s’est passé une fois le set terminé. Une tournée aura lieu. Pour l’instant en octobre 2021, mais nous ne cessons de repousser les dates.
Antoine : Pendant l’enregistrement de l’album, il a été décidé que la prochaine tournée s’effectuerait à cinq personnes, avec basse et batterie. Dès lors, on a su que l’on pouvait produire une matière plus dense, que nous n’aurions pas de mal à retranscrire sur scène. Ça a modifié l’approche de l’album. C’est pour ça que nous avons ajouté des cordes. Mais toujours avec subtilité. Je travaille de cette façon avec Peter depuis le début. Je sais que si je lui propose deux notes de guitare, il faut que ce soient les bonnes. Je veux que sa musique reste touchante.
La force des cordes sur l’album est de ne pas noyer le reste. Comment avez-vous travaillé dessus ?
Antoine : J’ai travaillé et écrit les parties de cordes sur un synthé. Il était hors de question d’aller plus loin qu’un duo alto et violoncelle pour rester dans l’épure. J’ai appelé mon professeur de violoncelle et une vieille connaissance joueur d’alto pour les faire travailler séparément. Tout s’est fait en deux jours. Il n’en reste pas grand-chose sur l’album. Principalement les cordes de I Don’t Give A Fuck About You.
Antoine, on sait comment vous avez enregistré Black Ribbons, mais comment vous êtes-vous retrouvé Natasha et toi à enregistrer un album avec Peter quatre années plus tard ?
Antoine : Suite à Black Ribbons, Peter nous a contactés. Il nous a proposé de passer deux semaines à Tours et de jouer ensemble. Il n’y avait aucun projet d’album. Nous ne savions même pas s’il voulait jouer du The Apartments. Je pense de toute façon qu’il avait peur d’enregistrer un album, de se retrouver à nouveau dans le circuit. Sa mauvaise expérience avec Hut Records pour Apart l’avait marqué. Entre temps un concert sur la terrasse du magazine Magic a été booké. On savait que le séjour allait se terminer ainsi. On a répété de vieux morceaux pour le concert. Une fois bien rodé, je lui ai demandé ce qu’il voulait faire. Il nous a proposé quatre idées de morceaux. Nous avons commencé à enregistrer. Le bruit a fuité dans notre entourage. C’est même remonté aux oreilles de Talitres qui étaient persuadés que l’on enregistrait un album en cachette. Ce n’était absolument pas le cas. Peter a été très clair avec tout le monde. Il ne voulait pas sortir un nouvel album. Finalement le chantier a commencé à prendre forme. Peter nous a annoncé qu’il rentrait en studio et qu’il voulait que l’on participe à l’enregistrement. Tout s’est fait par internet. Nous y sommes allés doucement, je pense qu’il fallait qu’il reprenne confiance en lui.
Peter, je suis tombé sur un article anglais affirmant que tu étais une pop star en France. Si tu rencontres un certain succès chez nous, le côté exagéré des propos m’a donné envie de te demander ton avis sur cette association régulière du groupe à la France.
Peter : La presse, surtout Australienne a la fâcheuse manie de mentionner systématiquement la France quand ils parlent de moi. Ça a tendance à m’irriter car il y a d’autres angles d’approche pour parler de ma musique. Je pense que le mot popstar a une signification différente pour eux que pour moi. Je connais de véritables popstars, je sais comment ils se comportent. Je suis loin de rentrer dans cette catégorie (rires). Ne vous méprenez pas sur mes propos, je suis heureux d’avoir de nombreux fans en France. C’est juste que c’est une manière paresseuse de parler du groupe.
Avec du recul, de quel album de The Apartments es-tu le plus fier et pour quelle raison ?
Peter : Ça va paraître difficile à croire mais c’est Fête Foraine. C’est un album très brut que j’ai apprécié enregistrer sans contrainte de section rythmique. Enregistrer la basse et la batterie en premier pour apporter une fondation aux morceaux n’est pas ce que je préfère. Je me suis senti libéré de ne pas à avoir le faire. Cette liberté se ressent. Le titre Paint The Days White sonne comme je l’avais toujours souhaité. Je sais qu’aucun nouveau morceau ne figure sur l’album, mais j’ai aimé les réinterpréter différemment.
De ton côté Antoine, quel est ton préféré ?
Antoine : Il est difficile de ne pas choisir No Song, No Spell, No Madrigal. Même si j’ai fait partie du processus et que j’ai eu beaucoup de mal à me mettre dedans. Mais c’est pour Drift que j’ai le plus d’affect. Je l’ai découvert à sa sortie. J’avais 15 ans. Je jouais de l’air guitar sur Goodbye Train. C’est un titre que j’ai repris avec mon groupe de lycée. C’est pour moi l’album d’une époque.
Et un titre du nouvel album ?
Antoine : Mon morceau préféré est Fading Light. Je le trouve saisissant. Pour info je n’ai pas travaillé dessus (rire). Juste après je choisirai I Don’t Give A Fuck About You car j’ai beaucoup apporté à ce titre et j’aime ce qu’il en sort. J’ai travaillé sur les cordes, la guitare, les voix, la mise en relief.
Peter, on sait que tu as brièvement fait partie de The Go-Betweens, mais par contre rares sont ceux qui savent que tu as également joué avec The Laughing Clowns.
Peter : J’ai habité à New York quelques années. Un de mes amis, l’ex The Saints Ed Kuepper m’a écrit pour me dire qu’il lançait un nouveau groupe, The Laughing Clowns. Il m’a proposé de les rejoindre pour un an. Le temps d’enregistrer un album, de tourner en Europe et en Australie. J’ai dit ok et quitté New York.
Que s’est-il passé une fois ton contrat terminé ?
Peter : Au bout d’un an, j’ai quitté le groupe comme prévu et enregistré quelques démos. Six ou sept au total. Je me suis retrouvé avec ces chansons enregistrées sur une cassette sans avoir aucune idée de ce que j’allais faire de ma vie. J’ai envoyé la cassette à Rough Trade. Ils m’ont contacté rapidement avec l’idée de sortir un single. Je leur ai dit que j’avais de quoi publier un album. Ils ont dit OK et m’ont signé. Je n’avais aucune idée de l’importance que Rough Trade avait pris depuis leurs débuts. Il faut dire qu’ils avaient signé The Smiths. Quand je me suis rendu dans leurs bureaux à Londres quelqu’un m’a montré un placard où ils stockaient toutes les démos qui arrivaient. Quand il a ouvert la porte, j’ai cru que j’allais mourir écrasé par des tonnes de cassettes. Ils en recevaient cinq cents par semaine. Et pourtant ils ne sont pas passés à côté de l’unique exemplaire que j’avais envoyé à un label (rires). C’est un véritable miracle.
Y en a-t-il eu d’autres dans ta carrière ?
Peter : Un miracle n’arrive jamais seul. Geoff Travis, le boss de Rough Trade dirigeait également le label Blanco Y Negro sur lequel Everything But The Girl étaient signés. Il a donné une cassette des démos à leur chanteuse Tracey Thorn en lui disant que ma musique allait lui plaire. Il ne s’est pas trompé. Quand je suis allé en Angleterre pour enregistrer l’album, Tracey a proposé que l’on fasse une tournée en première partie de Everything But The Girl. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec mon premier album et une tournée avec un des meilleurs groupes de l’époque. Rien n’était prémédité. Pour être honnête, tout ne s’est pas passé comme prévu. J’ai dû enregistrer, mixer et masteriser The Evening Visits en deux semaines. Je n’avais même pas de groupe à l’époque. Tu imagines la pression ? J’ai dû apprendre les chansons à des musiciens pendant les sessions d’enregistrement. Nous avons terminé le mixage à 8h du matin. Les bandes devaient arriver absolument au mastering à 9h. Nous y sommes allés en taxi. Il fallait que l’album soit dans le commerce à temps pour la tournée avec Everything But The Girl. Bien entendu l’album n’est sorti qu’une fois la tournée terminée. Nous avions fait quarante dates avec Everything But The Girl pour rien (rires).
The Apartments –
In And Out Of The Light
Talitres
Crédit photo : Bleddyn Butcher et Alain Bibal