[dropcap]« À[/dropcap]vouloir voler trop haut, on risque de se brûler les ailes ».
Cette maxime du mythe d’Icare peut-elle s’appliquer au cas de Lee Mavers qui, en cherchant obstinément à reproduire sur disque le son qu’il avait dans la tête, aurait couru à sa perte et à celle de son groupe ? Avec le temps, l’histoire des La’s a fini par se confondre avec celle de son unique album studio The La’s. C’est l’histoire d’une carrière inachevée, interrompue peu de temps après la sortie de ce disque honni. C’est aussi l’histoire de son leader, plus énigmatique que charismatique, un pied dans les années 60, un pied (à contre-cœur) dans les années 90 et la tête dans les étoiles… forcément inaccessibles.
Lee Mavers est fasciné par les lignes de basse de JJ Burnel des Stranglers ; il fait ses premiers pas comme bassiste du sein du groupe Neuklon, ce qui l’amène à rencontrer Mike Badger. Badger a pour modèle Captain Beefheart et veut faire du « Rockabilly Beefheart ». Les héros de Mavers sont plutôt du côté de Bob Dylan, John Lennon, Paul Mc Cartney, Chuck Berry… Leur décision de jouer ensemble est née d’une discussion autour de Captain Beefheart et s’est concrétisée en 1984 sous le nom des La’s. Ce nom vient de la version argotique de « lad’s » (« gars ») en vigueur à Liverpool. Il évoque aussi la note de musique. Mavers raconte que l’idée lui serait venue d’une phrase lue dans la presse, mais dans les faits et même s’il a rapidement pris la direction des opérations, le groupe est né sous l’impulsion de Badger et c’est à lui que revient le choix du nom. À partir de 1986, le groupe se produit de plus en plus souvent sur la scène de Liverpool. Il enregistre des démos au Picket Studio, lesquelles circulent et attirent du monde qui se déplace de Londres pour les voir jouer.
[dropcap]C[/dropcap]’est lors de l’un de ces concerts, au Everyman Theater, que les La’s rencontrent Andy Mac Donald qui les signe immédiatement sur son label Go! Discs (The Housemartins, Billy Bragg, Paul Weller…). En général, la signature avec un label est synonyme d’ascension, mais dans le cas des La’s, elle a surtout marqué le début des problèmes et des changements incessants de musiciens. Badger avait d’ailleurs quitté le groupe avant la signature suite à des tensions avec Mavers. Il aura pourtant été le seul avec qui Mavers a été capable de collaborer sur un plan musical, et Barry Sutton dira plus tard que le groupe n’avait jamais été aussi bon que lorsque Badger en faisait partie. Les premières sessions d’enregistrement ont lieu durant l’été 1986 à l’Attic Studio. Mavers restera éternellement nostalgique de ces démos, estimant qu’elles n’étaient « pas parfaites mais avaient du caractère ». En octobre 1987 sort leur 1er single, Way Out, avec Paul Hemmings à la guitare (il quittera le groupe peu de temps après).
[dropcap]M[/dropcap]algré les louanges de Morrissey dans le New Musical Express, le titre ne décolle pas dans les charts anglais. Il faut dire que le style du groupe ne correspond pas aux canons de l’époque (il faut se replacer dans le contexte : on est à la fin des années 80 et les La’s jouent de vrais instruments) mais il est annonciateur du retour des guitares dans la pop anglaise et sème les graines de la britpop et du son « baggy » de Madchester. Le turnover est tel que There She Goes, écrite en 1987, n’a pu être enregistrée que mi-1988. La question de savoir combien de musiciens avaient fait partie des La’s était même devenue une blague entre Mavers et John Power !
Pendant que guitaristes et batteurs se succèdent, John Power reste un fidèle compagnon de Mavers. Hélas, bientôt lassé de rester cantonné à la basse et aux backing vocals alors qu’il compose de plus en plus ses propres chansons (aucune ne sortira sous la bannière des La’s) il finira par quitter les La’s pour fonder Cast en 1991. Alright, ici chantée en live par John Power, est aussi le titre qui ouvre l’album All Change de Cast.
Over est la seule chanson des La’s sur laquelle John Power a été crédité. Son enregistrement est réputé comme étant le seul dont le groupe a été satisfait.
[dropcap]L[/dropcap]e groupe ne se stabilise qu’en 1989 avec l’arrivée de Neil Mavers (petit frère de Lee) comme roadie puis batteur et de Peter « Cammy » Cammel comme roadie puis guitariste principal. Fin 1989, le NME les surnomme « les nouveaux Beatles ». Tous les musiciens de Liverpool rêvent de jouer dans les La’s. La valse des musiciens se double d’une valse des studios (au moins sept studios d’enregistrement dont des studios de Abbey Road, proposés par le label comme ceux de la dernière chance) ce qui aurait coûté un million de livres sterling. Perpétuellement insatisfait des enregistrements, Mavers épuise ses acolytes, les ingénieurs du son et une flopée de producteurs : John Porter (The Smiths), Gavin MacKillop, John Leckie, Bob Andrews, Jeremy Allom, Mike Hedges (ingénieur du son du premier album des Cure) et enfin, Steve Lillywhite (U2, Simple Minds…).
Mais l’insatisfaction chronique liée au son n’est pas imputable à la seule tête – de mule – pensante de Mavers. Paul Hemmings, interrogé par MW Macefield, l’auteur de A Secret Liverpool – In search of The La’s renchérit : « C’était dur d’essayer constamment de retrouver en studio quelque chose de très spontané comme l’avaient été les premières démos. C’était très frustrant pour Lee. On jouait dans des studios et on n’arrivait pas à capturer cela, on n’arrivait pas à obtenir le même son ». Mavers déteste la technologie (« Les studios modernes et nous ne faisons pas bon ménage… ils mettent des réductions de bruit, ce qui enlève les sifflements mais aussi l’ambiance et on se retrouve réduit à un squelette »).
Non seulement Mavers est têtu mais en plus, il veut expérimenter. John « Boo » Byrne : « Je pense que Mavers rendait les ingénieurs du son fous (…). Je me souviens d’une session d’enregistrement où il voulait chanter dans le piano pour essayer de capter la réverbération des cordes ». Le deuxième single There She Goes sort discrètement en 1988.
La chanson figurera deux ans plus tard sur l’album dans sa version remixée par Steve Lillywhite et connaîtra le succès que l’on sait. Ce n’est pas un tube populaire à proprement parler (bien qu’atteignant la 13ème position des charts anglais) mais quiconque était en âge de l’entendre n’a pu oublier son intro et son refrain. La recette de There She Goes est celle des chansons pop éternelles : la simplicité.
[dropcap]L[/dropcap]es dernières sessions ont lieu au Eden Studio de Londres avec Steve Lillywhite et vont déboucher sur la version définitive de l’album. À bout de nerfs et à sec, le label finit par sortir le disque contre l’avis du groupe, qui a d’ailleurs jeté l’éponge et laissé le soin du mixage au producteur. The La’s paraît le 1er octobre 1990. Mavers avait de son côté noté sur un carnet, dans un ordre précis, une liste de 18 titres, la longueur d’un double album. Sa liste se terminait par la mélancolique Who Knows? qui figurera plus tard sur une face B.
[dropcap]E[/dropcap]n 1989, Mavers avait décidé de retirer des bacs leur troisième single, Timeless Melody, dont le premier pressage avait pourtant été accueilli favorablement par la presse. Il faut préciser que le choix des singles et des faces B a échappé à la volonté du groupe, ainsi que celui des pochettes. D’ailleurs, personne, pas même les membres du groupe eux-mêmes, ne connaît l’origine et la signification de la pochette de l’album ! Un mystère de plus qui contribue à alimenter le mythe. La presse réserve un bon accueil au disque mais le discours tenu aux journalistes a le mérite d’être constant. Au magazine Smash Hits, « Nous détestons l’album, il n’a rien capturé de ce que nous sommes ». Aux Inrocks (n° 26 nov/déc 90), « Surtout, dis à tes lecteurs de ne pas acheter notre album, cette pourriture technologique ».
Malgré cette détestation devenue légendaire, le groupe compte des admirateurs parmi ses pairs comme Richard Ashcroft (The Verve). Noel Gallagher a déclaré que son job au sein d’Oasis avait consisté à « terminer ce que les La’s avaient commencé ». Une décennie plus tard, Mavers admettait humblement qu’il ne connaissait alors pas les termes techniques pour traduire correctement ce qu’il voulait. Steve Lillywhite : « Lee Mavers n’était pas obsédé par la perfection en soi, mais par le son qu’il avait dans la tête. « It’s a feelin’, la » est tout ce que j’ai pu avoir comme explication ». Michael Head (Shack, The Pale Fountains) s’est montré rétrospectivement plus solidaire : « Les studios n’étaient pas terribles pour les groupes à guitares à la fin des années 80. Je comprends parfaitement ce contre quoi Lee se battait ».
[dropcap]C[/dropcap]omme une étoile filante, la flamme des La’s s’est éteinte peu de temps après la sortie de ce disque, sans annonce officielle de leur séparation. Le groupe s’est réuni de façon sporadique au milieu des années 90 pour donner quelques concerts. Mavers a tenté une collaboration avec le groupe liverpuldien The Crescent. En 2005, Mavers et Power se sont réunis pour reformer le groupe et participer à quelques festivals. Les dernières apparitions de Mavers sous le nom des La’s remontent à l’été 2011, dont une date au festival Rock en Seine. La chronique de Télérama illustrait le spectacle déconcertant d’un Lee Mavers uniquement accompagné d’un bassiste, avec ce titre tristement évocateur : « À Rock en Seine, The La’s, hélas ».
Diverses questions et élucubrations des fans, journalistes et commentateurs ont tenté de combler le vide laissé par leur disparition progressive. Lee Mavers était-il un fainéant comme le regrettait Noel Gallagher ? Est-ce qu’il ne considérait pas que tout avait déjà été dit ? N’a-t’il pas évité le risque d’échouer en enregistrant un deuxième album à sa manière, comme il l’a pourtant annoncé à plusieurs reprises ?
Trente ans après, des énigmes demeurent. L’essentiel est que les La’s nous ont laissé une collection de douze chansons aux couleurs différentes : rock bluesy (Doledrum), rock beatlesien (Feelin’), pop classique (There She Goes, Timeless Melody), gaies (I Can’t Sleep), sombres (Looking Glass)…
Elles ont toutes en commun une fraîcheur, une spontanéité, une sorte de candeur et une certaine élégance, même sur les titres d’apparence plus brute et plus rugueuse.
Pour nous consoler de ce sentiment d’inachevé, il nous reste un disque classique au charme intemporel.
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The La’s – The La’s
Go! Discs – 1er octobre 1990
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Image bandeau : montage pochette de l’album