Il était impossible de ne pas déceler leur potentiel lorsque Dogrel est sorti dans les bacs en 2019 chez Partisan Records. La gouaille quelque peu pompée à Liam Gallagher (frangin terrible dont on cause beaucoup en ce moment)+ une certaine moue plus ou moins influencée par le post-punk tiré des cendres de Joy Division. Forcément l’esprit irlandais rappelait également par certains frémissements les vapeurs des Pogues… Bref, un groupe qui joue de notre indécrottable nostalgie avec une habilitée mêlée d’un féroce entrain.
Quelques semaines après que les irlandais aient dévoilé leur premier album, j’ai eu le plaisir d’assister à un concert de Fontaines D.C sur une scène d’envergure intimiste. A la suite de leur set efficace et sans chichi, je me suis retrouvé aux côtés de Grian Chatten pour savourer la prestation transpirante de Viagra Boys. Quelques mots baragouinés dans un anglais imbibé et une mine déconfite laissaient entendre avec un culot non dépourvu d’égo que SA formation allait percer. La suite lui donnera raison.
Il faut dire que dès le second volume baptisé A Hero’s Death, l’aventure rock allait façonner une singularité plus grinçante et plus cohérente (souvenez-vous de la claque lorsque vous avez entendu pour la première fois le compulsif Televised Mind). Nos amis enchainent avec un succès d’estime qui s’empiffre pour devenir LA référence tapageuse du moment (disons ex æquo avec Idles). En 2022, Skinty Fia enfonce le clou en imposant une attractivité moins floue (du flow impeccable de Jackie Down The Line au ressenti compressé d’I Love You).
Voilà pour le rappel historique. Pour le présent, le lecteur avide de curiosité pourra compléter la présente critique à la lueur d’un débat teinté de clivages, d’engouements ou de frustrations selon l’appréhension intime de l’affaire.
Il est vrai que ce quatrième album marque une rupture nette. Changement de look (plus de fluo et de froufrous), changement de label (XL Recordings) mais surtout une accélération de la propulsion vers les sommets. Voilà donc l’objet du délit. Pochette kitschissime, contenu ultra produit et crime ultime pour les pharisiens du microcosme underground : une production qui ne cache plus son désir farouche d’en vendre des brouettes bien pleines.
« Into the darkness again (…) » s’entend au titre d’une amorce tranchant grossièrement avec le rose bonbon de la devanture. Romance peut résonner telle une version au ralenti du meilleur post 2000 chez Depeche Mode. Les effets sont colossaux. Sans quasi transition, le hit Starburster combine une ossature hip-hop avec des riffs qui semblent extirpés d’un western futuriste. Tout y est… Trop ? Ou alors serait-ce l’accomplissement de bien plus de maitrise ?
Here’s The Thing chamboule aussi les codes au point de lorgner vers un garage nourri de psychotropes gobés en pleine ascension vers le soleil. Descente soudaine, par contre, avec les planantes effluves de Desire…
Forcément le fan de la première heure finira par faire la culbute s’il ne prend pas la précaution de lire la notice. Fontaines D.C. s’est métamorphosé en bête de foire et, le pire de cette trahison, la nouvelle alchimie fonctionne à merveille. Le quintette se réinvente, progresse au gré du boulot fichtrement bien mixé par le bankable James Ford.
Au centre de l’œuvre, la maturité d’écriture des mélodies s’ajoute à une nouvelle brillance malgré quelques pistes qui bizarrement étonnent par bien plus de « classicisme » (Bug).
Heureusement, Romance esquive le risque de la facilité télécommandée en proposant quelques pousses d’expérimentations sonores. Notons à titre d’exemple quelques ondulations diaphanes sur lesquelles nos oreilles glissent avec une honteuse ou assumée délectation (Sundowner).
La flamme renait à l’aide d’une mouture folk-pop millimétrée et dont l’évidence est incarnée sous les traits de l’imparable Favourite, onzième et dernier virage d’une traversée à la redécouverte de sensations enfouies. Une certaine idée de l’Amour s’y développe malgré le tourbillon d’une actualité chargée de détresses. Indéniablement plus ambitieux et créatif en sa forme mais surtout bien plus philosophe en son contenu, Romance se pose là, robuste et sensible à la fois. Cœurs de pierre s’abstenir.
Crédit photo : Theo Cottle
Fontaines D.C · Romance
XL Recordings – 23 Août 2024