Dans quelques mois nous en aurons terminé avec l’explosive trilogie libanaise de Frédéric Paulin. En attendant le troisième tome en août, savourons ce deuxième tome au très beau et annonciateur titre : Rares ceux qui échappèrent à la guerre.
Nous retrouvons les personnages de Nul ennemi comme un frère, quelque peu vieillis et ayant perdus de leurs illusions mais toujours en proie aux passions dévorantes, de la guerre, de l’amour et d’une violence parfois extrême.
Le terrorisme qui frappait au Liban s’est exporté en France. Tous les jours le journal d’Antenne 2 ouvre avec les photos des otages français. La politique a son mot à dire mais quel mot… Mitterrand et Chirac s’écharpent et les négociations pour leur libération pâtissent des basses manœuvres de ces deux hommes et de leur parti. Triste époque.
« Dans le coin des familles de victime, un homme vacille. une jeune fille et une femme le rattrapent. La femme le sermonne. Dix-neuf sent son cœur se serrer lorsqu’il reconnait Kellermann. Sans rire, il ressent un picotement au cœur quand il voit le visage ravagé de chagrin de Kellermann, un visage qui n’est plus le sien. Le visage d’un homme dont le fils est couché dans l’un des cinquante-huit cercueils. Il voudrait croiser son regard, lui faire comprendre qu’il va s’occuper des salaud qui ont tué son fils. Lorsque la musique se tait et que commence la minute de silence, il préfère baisser les yeux parce que s’ils croisaient ceux de Kellermann, celui-ci y lirait forcément son impuissance.
Dix-neuf n’est pas certain de retrouver les salauds qui ont tué Romain Kellermann. Il fera tout pour, mais la certitude que les salauds payeront un jour l’a quitté. »
─ Frédéric Paulin, Rares ceux qui échappèrent à la guerre
Si le premier tome de cette trilogie se passait beaucoup au Liban, ce deuxième tome se concentre plus sur la France et les personnages qui y vivent.
C’est éminemment politique et cette époque ressemble parfois comme deux gouttes d’eau à celle que nous vivons depuis plusieurs mois. L’Histoire se répète. Et c’est tout le talent de Frédéric Paulin de nous promener dans un intense tas d’informations que nous peinons parfois à suivre et pourtant nous n’abandonnons pas. L’intime se mêle au politique. L’amour à la haine et à la guerre. Une lumière traverse parfois les lignes, les balles et les bombes cessent d’exister. Les personnages pourraient facilement nous hanter. Philippe Kellermann ou le commandant Dixneuf, Zia al-Faqîh, toujours en désaccord avec ses chefs mais toujours coincée et en détresse, le couple de la magistrate Sandra et de son mari de flic, la naissance de leurs jumeaux, la vie maritale qui en subit les conséquences, les engueulades magistrales. L’intime oui. Au milieu du terrorisme et de l’horreur. Parfois, on se demande pourquoi on s’inflige une telle lecture. Peut-être parce qu’on est captivé, que l’auteur nous tient grâce à son rythme effréné et que malgré tout, nous sommes humains et que nous continuons d’espérer. Si nous pouvions apprendre de nos erreurs. Si seulement.
« Depuis la visite de Yara, Ziz ressent comme un effondrement à l’intérieur de son corps – comme le bâtiment des soldats français a dû s’effondrer lorsque la bombe a explosé. Ça lui fait mal, ça lui provoque des nausées, sa tête tourne lorsqu’elle se lève trop rapidement, ses articulations la lancent. Elle ne peut s’empêcher de penser Philippe Kellermann et chaque fois qu’elle y pense, des larmes lui montent aux yeux. C’est elle qui a tué son fils.
Des années qu’elle n’a plus vu Philippe, des années qu’elle a mis à distance son souvenir, des années qu’elle croyait l’avoir oublié.
Des années pour rien.
Zia ne ment jamais : elle est la responsable d’innombrables morts. Elle n’est pas la commanditaire des attentats, mais son rôle est primordial, sans elle, peut-être que certains des jeunes hommes qui conduisaient les véhicules chargés de dynamite auraient flanché. Elle est le maillon essentiel entre la lutte de sa communauté et la mort des soldats étrangers. Mais pour la première fois, elle a l’impression d’avoir du sang innocent sur les mains. »
─ Frédéric Paulin, Rares ceux qui échappèrent à la guerre
Frédéric Paulin, tout comme dans la trilogie Benlazar, nous impressionne. Il a une façon à lui, une façon unique de nous conter une histoire romanesque tout en éclairant l’Histoire de notre pays. Que celle-ci soit peu flatteuse lui importe peu. En ce sens, il fait oeuvre utile : lire le passé pour comprendre le présent.
« Le risque de consensus électoral, c’est de laisser un boulevard à la droite du RPR dans lequel Le Pen et le FN pourraient s’engouffrer. Raymond Barre a prévenu les chefs de la droite : « Nos compatriotes auront la tentation de se défouler sans risque aucun, puisque ces élections ne peuvent avoir d’incidence directe sur l’avenir du pouvoir actuel. Ne donnons pas à ces élections une dimension de politique intérieure disproportionnée. »
─ Frédéric Paulin, Rares ceux qui échappèrent à la guerre
En août prochain, nous lirons le dernier tome de cette nouvelle trilogie. Plus que quelques mois d’attente !