[dropcap]E[/dropcap]n proposant aujourd’hui le septième titre de leur collection Fiction depuis sa naissance en 2018, les éditions Rue de l’Échiquier se montrent en cohérence avec leur credo, celui d’une maison indépendante spécialisée en écologie ainsi qu’en tous les sujets susceptibles d’y être associés. Faisant preuve d’une production maîtrisée, elles proposent ici des œuvres de fiction sinon engagées, tout au moins ancrées dans des préoccupations écologiques et environnementales.
S’il peut sembler détonner au sein de cette collection, le roman de Norman Lock y trouve sa place de façon naturelle et, finalement, très pertinente par la connexion qu’il met en lumière entre émancipation individuelle et préoccupations naturalistes et écologiques.
L’esclave est soumis à trois émotions fondamentales : la peur, le désespoir et la haine. L’ambivalence est un luxe réservé à ceux qui sont nés libres.Norman Lock
1845. Après avoir fui la plantation dans laquelle il était esclave en Virginie, le jeune Samuel Long, grâce au célèbre « underground railroad », parvient dans le Massachussets, au bord du lac Walden. Il y fera la rencontre d’Henry David Thoreau, Nathaniel Hawthorne et Ralph Waldo Emerson, auprès desquels il va peu à peu se redécouvrir dans la peau d’un homme libre.
Avec Un fugitif à Walden, Norman Lock donne la parole à Samuel Long, auquel il attribue l’écriture de ce texte conçu comme « une oraison funèbre en l’honneur du grand cœur et de l’esprit exceptionnel de Henry David Thoreau« . Rien, pourtant, n’était joué d’avance entre les deux hommes. Thoreau, comme ses compagnons, tout abolitionnistes qu’ils se montrent, n’en sont pas moins des intellectuels blancs plus nantis que Long ne le sera jamais et le jeune homme sera à plus d’une reprise profondément agacé par le décalage entre leurs discours et les privilèges dont ils bénéficient sans en mesurer l’importance.
Son abnégation me semblait délibérée, une vertu ostentatoire aussi ennuyeuse que la chasteté (…) Son renoncement ne valait guère mieux que celui d’un homme qui, une fois rassasié, jette le restant de son repas sous les yeux d’un affamé. Et j’étais cet affamé ! « Norman Lock
Aussi mal à l’aise face à ces hommes qu’ils le sont parfois avec lui, Long sent néanmoins derrière ces contradictions une sincérité qui finira par le convaincre de les écouter attentivement avec autant de recul que son expérience le lui permet. Mais ils prendront également conscience qu’eux aussi ont à apprendre du parcours du jeune homme. Sans cette réciprocité, leur tentative de s’apprivoiser mutuellement était vouée à l’échec. Marqué à vie par une expérience traumatisante, rongé en permanence par le doute et la honte, Samuel Long mettra du temps à accepter l’idée que Thoreau et ses compagnons puissent vivre ainsi sur des principes purement intellectuels, sans avoir jamais côtoyé la haine, la violence, la douleur et la peur comme lui les a connus.
Tel un garçon qui, dans les mains calleuses de son père, voit seulement la crasse sous les ongles, j’étais bien décidé à comprendre de travers Henry Thoreau et son expérience de la simplicité.Norman Lock
Samuel Long fera l’apprentissage de la liberté en même temps qu’il tentera de se définir, lui qui ne sent pas plus africain qu’américain. De leur côté, Thoreau, Hawthorne et Emerson apprendront également beaucoup du jeune homme et confronteront ainsi la réalité, aussi dure et inconfortable soit-elle, à leurs principes et idéaux.
Un fugitif à Walden, s’il se montre parfois un peu bavard et suffisant comme pouvaient l’être les conversations de ces intellectuels, a le grand mérite d’aborder des sujets encore d’une actualité brûlante et de prouver qu’une convergence des luttes est possible, la rencontre entre Samuel Long et Thoreau en étant l’illustration parfaite.
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Un fugitif à Walden de Norman Lock
traduit de l’anglais par Brice Matthieussent
Éditions Rue de l’Échiquier, 6 mai 2021
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Image bandeau : Aida L / Unsplash