[dropcap]L[/dropcap]e lâche est le premier roman de Jarred McGinnis, auteur américain qui a vécu en Ecosse et en Angleterre avant de venir s’installer à Marseille. Il a suscité l’enthousiasme de la plupart de celles et ceux qui l’ont lu, en anglais et maintenant en français, et il y a fort à parier que ce titre-là ne sera pas une étoile filante, aussi vite disparue qu’apparue. Car Jarred McGinnis a LE don, grâce auquel il est capable de nous faire rire avec des situations qui n’ont rien de comique, et de nous émouvoir en explorant les recoins les plus cachés des comportements humains, ceux qui nous sont secrètement familiers…
Le roman commence à l’hôpital, où le narrateur, Jarred, vient de se réveiller et où on vient de lui apprendre que son amie Melissa n’a pas survécu à l’accident de voiture. Un peu plus tard, il comprend qu’il ne marchera plus jamais, et que son assurance maladie ne lui permet pas de rester à l’hôpital… Jarred est seul, il a rompu avec sa famille dix ans auparavant. Là, il n’a guère le choix, car il n’a personne d’autre : il doit appeler son père Jack pour qu’il vienne le chercher. Pire encore, il va devoir cohabiter avec Jack, après dix années de silence… Sentiment de culpabilité, désespoir face à l’infirmité, obligation de retrouver son père : cela fait beaucoup pour un seul homme, Jarred est à ramasser à la petite cuiller.
Dix ans plus tôt, Jarred a 16 ans. Il a perdu sa mère quelques années auparavant. Depuis, il vit avec son père qui se perd dans l’alcool et la violence. Son frère Patrick, lui, est adulte, il a quitté la maison depuis longtemps et se fait une bonne petite situation. La vie avec Jack devient insupportable, la haine monte, malgré les réunions des Alcooliques Anonymes…
(…) et je me suis endormi, la tête sur l’oreiller de maman, qui n’avait plus son parfum mais une odeur de poussière.
Jarred McGinnis
Alors Jarred s’en va. Il vend l’électroménager familial, fauche la vieille Oldsmobile du voisin, et taille la route avec son copain Fritz, direction la Californie. Le lendemain, l’Oldsmobile le lâche, Fritz aussi. Les dix années qui suivront, il les passera à voguer de petit boulot en petite magouille, de coloc minable en squat insalubre, avant d’échouer à Chicago où un épisode particulièrement dur achèvera de le convaincre qu’il est un raté, un vrai. Le train le ramènera à Austin, Texas, mais pas chez Jack. Enfin, pas tout de suite. Une chambre sordide, un boulot dans un restaurant italien, les perspectives ne sont pas réjouissantes. Et puis l’accident, la mort de Melissa, la paralysie, la rage, le désespoir…
Le lâche est un roman qui a tout pour faire pleurer dans les chaumières. Pourtant, Jarred McGinnis a choisi le chemin inverse. Son retour chez Jack est un crève-cœur. Sauf qu’il y a le Jack d’avant et le Jack d’après. Et aussi le Jarred d’avant et celui d’après, qui n’est pas encore tout à fait né. Sauf que le lecteur va assister à un apprivoisement réciproque, à un rapprochement fait de petites choses, d’anecdotes cocasses, de coups de colère et d’accès de déprime, de balades jusqu’au marchand de donuts, de rencontres avec Sarah, qui tient un café non loin de là et qui va donner à Jarred son amitié, sa drôlerie, sa tendresse. L’auteur nous entraîne avec lui dans ses allers et retours passé-présent, nous raconte l’amour fou qui liait Jack et la mère de Jarred, un amour arrosé à l’alcool et qui excluait le petit garçon. Comment trouver sa place dans une histoire pareille, sans même le secours de son frère Patrick, qui a déjà sa vie d’homme respectable, sa famille, sa maison et son métier ? Ce frère qui, pour se sauver lui-même, n’hésitera pas à laisser son cadet seul avec le couple infernal, puis avec le veuf inconsolable. Comment, à 26 ans, supporter l’infirmité, la dépendance complète par rapport à un homme qui l’a maltraité ?
C’est la vie elle-même qui va venir au secours de ces deux éclopés condamnés à vivre ensemble, la vie et ses cruautés, ses petites et ses grandes joies. Malgré lui, Jarred va revivre son adolescence, car il lui faut tout réapprendre, y compris à aimer, à se laisser aimer et à se pardonner. Le lâche est une merveille de lucidité, de tendresse et de drôlerie, un roman d’une beauté aussi lumineuse qu’impitoyable, un coup au cœur.
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Le lâche de Jarred McGinnis
traduit par Marc Amfreville
Métailié, septembre 2022
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Image bandeau : Larry D. Moore, CC BY 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/4.0>, via Wikimedia Commons