[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#3e7558″]L[/mks_dropcap]es ouvrages de la collection Exprim’ aux éditions Sarbacane ont un point commun : ils sont percutants et abordent sans concession des sujets d’actualité durs, qui secouent et font réfléchir les grands ados et les (jeunes) adultes auxquels ils s’adressent. La Proie de Philippe Arnaud fait partie de ces livres remplis d’émotions, qu’on ne peut lâcher malgré l’horreur et le trop-plein de sentiments qui nous submerge.
Anthéa a 14 ans et est heureuse au Cameroun, où sa vie se résume au travail de la terre, aux rires partagés avec sa cousine, et aux histoires qu’elle raconte merveilleusement bien et qui laissent son auditoire fasciné. Il y a l’école également, même si elle n’arrive pas vraiment à s’y intéresser. Mais ses parents aimeraient lui donner un avenir plus grand, et s’inquiètent des regards des hommes qui se font de plus en plus insistants face aux changements du corps de la jeune fille…
Alors quand ce couple de blancs propose d’emmener Anthéa avec eux en France, ils acceptent pour lui donner une meilleure chance. Une chance de réussir sa vie, d’éviter un mariage forcé et d’être indépendante, avec pour seule condition d’aider les deux Français à s’occuper de leurs enfants.
Cela semble si facile … Mais les masques tombent progressivement, et Anthéa découvre une famille dysfonctionnelle où elle va être happée par l’enfer de l’esclavage moderne.
Les éditions Sarbacane nous offrent ici une histoire étouffante, oppressante, mais tout à fait maîtrisée sur un sujet ô combien actuel dont on parle très peu en littérature jeunesse. Le récit à la première personne nous permet de ressentir pleinement les émotions d’Anthéa et d’expérimenter toute sa détresse.
C’est une descente aux enfers insidieuse : notre héroïne est magnifique, flamboyante et forte, mais refuse de voir le mal autour d’elle. Comment imaginer que ce couple si gentil puisse lui vouloir du mal et se servir d’elle ? Après tout, elle devrait leur être reconnaissante de lui offrir cette “chance”, non ? Mais cette chance, elle ne l’a jamais demandé, elle qui était si libre et heureuse au Cameroun…
Et il y a aussi la culpabilité, l’envie de satisfaire ses parents qui attendent tellement d’elle. Alors elle subit, et ses quelques tentatives de rébellion sont vite étouffées par les menaces de ceux qui détiennent ses papiers. On l’envoie de moins en moins à l’école, et elle finit par être enfermée dans l’appartement familial. L’angoisse monte, inéluctable, on espère que l’horreur s’arrêtera, mais le pire arrive et nous frappe avec une violence inouïe.
Comment est-ce possible que personne n’ait réagi, dans ce pays qui se targue d’être celui des droits de l’Homme ? Comment ne pas avoir envie d’hurler à la face de ceux qui ont choisi de fermer les yeux, que ce soit les enfants, les professeurs, la tante ou la grand-mère ? On encaisse tout avec Anthéa, on ressent sa détresse et son impuissance, tout en se demandant ce qu’on aurait vraiment pu faire pour l’aider si on avait été témoins de sa situation.
La Proie est une fiction qui a des accents de réalité. C’est un texte intense et glaçant, important et nécessaire, qui nous laisse les larmes aux yeux et la rage au ventre, le genre de texte qui nous abandonne sonnés après avoir tant partagé les sentiments de l’héroïne. Mais derrière la souffrance et l’effroi, il y aussi cet espoir que nous laisse la fin du roman…
Un livre particulièrement réussi à partir de 15 ans, mais qui peut tout à fait être lu par des adultes.