Certains croient à la psychologie. Pas moi. Tout n’est que biochimie sur un substrat d’effets d’électronique quantique.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d98332″]É[/mks_dropcap]lément brillant de l’Institut de physique expérimentale de l’Université de Copenhague, Susan Svendsen est aussi atypique que peuvent l’être celles et ceux qui envisagent l’existence avec une intransigeance toute scientifique.
Possédant de plus une faculté tout à fait singulière, celle de provoquer chez ses divers interlocuteurs des aveux impromptus et autres confessions spontanées, Susan ne s’en est jamais laissé conter et a toujours su user de ce don pour gravir les échelons qui lui semblaient nécessaires. Mais cette inestimable aptitude conjuguée à son caractère bien trempé ont fini par mettre en péril sa famille…
Afin de sauver le peu d’individus auxquels elle tient, Susan va devoir accepter le marché que lui propose un ancien haut fonctionnaire d’État : utiliser son « pouvoir » pour retrouver les membres d’un groupuscule gouvernemental actif dans les années 70, sorte de secrète « commission pour le futur ».
J’aurais dû le savoir. Rien au monde ne dure pour toujours. Les lois de la nature sont temporaires. Dès que la physique s’arrête sur une image unique du monde, celle-ci se dissout et se révèle n’être qu’un cas particulier appartenant à un paradigme plus grand.
Rompue à l’art de l’interrogatoire grâce à son soutien officieux à la police, notre héroïne s’engage alors dans une enquête buissonnière en risquant tout puisque très vite, des portes se ferment et d’autres s’ouvrent sur des cadavres encore chauds.
Sa résidence est sous surveillance, un échiquier de pouvoir se met en place, et « l’effet Susan » cause des dommages collatéraux aussi importants que les maigres indices qu’il révèle.
Entre flashbacks personnels, digressions électriques et découvertes macabres, Susan semble tout autant traquer des révélations significatives à l’échelle de l’humanité qu’un sens plus intime à sa disposition si particulière.
Déjà à l’époque, je savais que si l’on voulait échapper à son destin, il fallait courir vite.
La plume de Peter Høeg nous revient en français sous les traits d’un personnage aussi dur et farouche que l’était l’inoubliable Smilla (dans Smilla et l’amour de la neige, 1996).
Imperméable à la sincérité qu’elle suscite chez les autres, Susan s’avère aussi glaçante dans son appréhension des relations humaines que la conspiration et les enjeux politiques qu’elle va exhumer malgré elle. Sa froide sensualité et son intuition sévère se cogneront pourtant à des degrés élevés d’hypocrisie et de désinvolture humanoïde face au déclin qu’engendrent nos multiples impostures, provoquant alors en elle un sursaut inattendu d’empathie naturelle.
Ce que nous traquons, ce dont nous entrevoyons la surface, c’est la preuve que tous les êtres humains cherchent à établir un contact plus profond avec leurs semblables.
De prime abord thriller politique haletant et maîtrisé, puis fable sociale engagée, Le Pouvoir de Susan n’oublie pas de séduire avant de mordre : les portraits de femmes remarquables qui jalonnent les chapitres incisifs du roman mettent à nu les fondements d’une société masculinisée et stérile, les dialogues caustiques accélèrent le rythme cardiaque d’une intrigue cavalant déjà à la vitesse d’une lumière crépusculaire, et le dénouement du récit laisse notre conscience et ses sentiments en un tête-à-tête saisissant.
– Au cours de ces derniers mois, j’ai découvert une chose que j’ignorais, dis-je. Tu sais ce qu’il y a au fond de nous ? Au fond de l’effet ?
Elle ne répond pas.
-D’autres personnes, Andrea. Au fond de nous, il y a les autres.