Brian Evenson n’en avait donc pas fini avec le pauvre ancien détective Kline. Pas fini non plus avec les sectes. Comme si ce sujet le titillait toujours.
Donc revoilà Kline à la dérive après avoir échappé à la confrérie des mutilés en concluant une sorte d’accord. Chacun son côté et les vaches seront bien gardées. Sauf que Kline ne sait pas quoi faire de lui-même et finit pas se retrouver en prison. Première partie du roman pendant laquelle il devra se battre contre d’autres prisonniers pour survivre.
« Pourquoi t’en veut-il à ce point ? demander Sanchez. Parce qu’il vous manque des bouts à tous les deux ? C’est une sorte de compétition ?
Il n’a rien contre moi. Il obéit aux ordres.
De qui ?
De dehors.
À quel groupe appartient-il ? La Fraternité aryenne ? Le Brödraskapet ?
Rien de tel. C’est une religion.
Quel genre de religion ?
Plutôt un culte. Leur croyance repose sur l’amputation. Ils sont persuadés que plus tu te tranches de membres, plus tu te rapproches de Dieu.»
─ Brian Evenson, Membre fantôme
Évidemment la confrérie ne l’oublie. Le premier schisme non plus : les Paul (membres de la confrérie qui font une scission) sont présents et en chasse. Meurtres, violence et survie. Evenson reste dans l’optique de son premier tome.
Deuxième partie du roman : une nouvelle enquête sous la forme d’une association. Avec Frank, Kline connaît un début d’amitié. Ensemble ils cherchent à comprendre qui tue les Paul de manière si atroce. Kline soupçonne un nouveau schisme.
« Rien ne l’empêchait de se débarrasser de Frank. Et pourtant, il n’en fait rien. Son faux nom, Werner, fit entendre sa voix dans son esprit, et l’humanité qui l’habitait jadis se raidit et le chatouilla comme un membre fantôme, au point que les doigts réels de sa main restante finirent par s’ouvrir et se se ramollir pour laisser Frank vivre.»
─ Brian Evenson, Membre fantôme
Troisième partie et une nouveauté : l’arrivée des femmes dans cet univers jusque là uniquement masculin.
Toujours la même violence et une croyance encore plus tordue confinant au fantastique.
Les réflexions à propos de la liberté et des sectes aussi. Les croyances également.
C’est une lecture souvent hallucinée qui nous torture et nous pousse dans nos retranchements très souvent. À ce titre la scène de l’œil va longtemps me hanter. Clin d’œil à Utopia, la fameuse série anglaise ?
Une sorte Dieu et un diable se disputent dans Membre fantôme. D’ailleurs membre de la secte ou membre de notre corps manquant ? Cette ambiguïté est sans cesse présente.
Les trois confréries tentant de ramener le pauvre Kline à elles.
« Vous savez à présent de quoi nous sommes capables. Nous avons déchiré le voile entre ce monde et le suivant. En convenez-vous ?
Ça en a certainement l’air, en tout cas, admit-il après un moment d’hésitation.
Vous devez vous rallier à nous. Nous rejoindrez-vous ?
Il secoua la tête négativement.
Non ? s’étonna-t-elle. Pourquoi pas ? Vous avez pourtant vu, vous savez.
Je ne veux pas. Non serviam.
Vous savez qui a prononcé ces mots le premier, fit-elle en retroussant une moitié de lèvre avec désapprobation.
Je sais. Satan.
Vous préférez le diable au miracle que vous avez vu de votre propres yeux ?
Le diable est un choix plus sûr.»
─ Brian Evenson, Membre fantôme
Sceptique au départ, je me demandais comment Brian Evenson allait pouvoir retrouver la «magie » de La confrérie des mutilés, je ferme le livre absolument convaincu et aussi dégoûté par des scènes intenses et dérangeantes.
Et je crois, fermement, que l’auteur n’en a pas fini avec Kline. Nous verrons cela dans les mois et années à venir. En attendant – puisque les éditions Rivages prennent le relais du premier éditeur français de Brian Evenson, le Cherche Midi en nous proposant en poche La confrérie des mutilés et sa suite, de grand Membre fantôme – lisons cet incroyable auteur !