[dropcap]N[/dropcap]ostalgie. Il suffit que Kelsey Miller se remémore les scènes cultes de Friends pour que le mot fasse sens. On n’y échappe pas non plus lorsqu’elle décrit le réconfort qu’apporte la série à ses fans, après un traumatisme personnel (une séparation, un licenciement…) ou collectif (le 11 septembre). Comment ne pas y souscrire alors même que, bien inséré entre les années 1990 et 2000, le show produit par Warner Bros. et diffusé par NBC semble représenter à lui seul une époque révolue, celle d’avant les smartphones, la crise financière et la complexification irrémédiable du monde ?
Ces gens utilisent le terme gourmandise lorsqu’ils parlent de Friends. Ils évoquent sa légèreté, son détachement de la réalité. Ils regardent parce qu’ils ne peuvent pas s’identifier, justement. C’est ridicule, quand on y pense : six adultes à la coupe de cheveux parfaite qui traînent dans un café en pleine journée ? Qui paye pour leurs énormes cafés latte ? Pour ces personnes-là, donc, Friends est une évasion pure et simple. Kelsey Miller
Nostalgie Friends, donc. Et pour l’avoir chevillée au corps, cette nostalgie, Kelsey Miller nous raconte la genèse, le développement et la postérité de la sitcom la plus célèbre de son temps (honneur qu’elle partage avec Seinfeld). Au départ, il y a deux scénaristes passant de Broadway à la télévision : David Crane et Marta Kauffman. On trouve ensuite, réunis sous un label commun, six comédiens aux parcours divergents – Lisa Kudrow travaille un temps dans la biologie, Matt LeBlanc enchaîne les publicités et vit sans le sou, Jennifer Aniston est la reine des pilotes ratés…
Ce label, justement, c’est la représentation télévisée d’une transition douloureuse (mais adoucie par un humour irrésistible) vers l’âge adulte, avec tout ce que cela comporte d’aléas amoureux, familiaux et professionnels. Comme l’auteure le rappelle avec à-propos, Friends évoque cette période de la vie où les amis deviennent une seconde famille, parfois une épaule sur laquelle se reposer, et où toutes les portes, même les plus improbables, demeurent ouvertes… C’est une sorte de réalité sans réalisme, du « parler vrai » et des personnages auxquels on s’identifie, mais aussi un New York trop blanc et trop beau, avec des appartements trop vastes et du temps libre à en revendre.
Kelsey Miller revient sur tous ces aspects de la série et n’omet pas non plus les critiques, souvent justifiées, entourant la représentation des minorités (ethniques ou sexuelles) y ayant cours. Elle raconte le succès de Friends dans ses évidences comme dans ses coulisses : des chiffres d’audience inespérés, un accueil triomphal en Grande-Bretagne, des négociations salariales menées collégialement et aboutissant à plus d’un million de dollars par épisode, de la publicité ad nauseam, etc. On en apprend aussi davantage sur l’atmosphère de plateau, l’alchimie entre les comédiens, les réécritures permanentes ou les intrigues croisées avec d’autres séries de NBC (l’épisode de la coupure de courant, Ursula dans Mad About You…).
Nostalgie Friends est une précieuse redécouverte d’une série-phare des années 1990-2000. Émaillé d’anecdotes*, mesuré dans ses analyses, l’ouvrage dessine en creux des portraits passionnants (de comédiens, de créateurs, de producteurs…). Ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la série y trouveront certainement leur compte.
* Monica et Rachel dont les comédiennes auraient pu être interverties, Courteney Cox en roc sur le plateau, Matt LeBlanc qui aurait pu prendre la porte lors de négociations tendues, Jennifer Aniston qui ne voulait pas de la dixième saison, etc.
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Nostalgie Friends,
par Kelsey Miller
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Typhaine Ducellier
Paru aux éditions HarperCollins en novembre 2019
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