[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#85132d »]L'[/mks_dropcap]auteur suisse Peter Stamm publie depuis 1991 romans et pièces pour le théâtre ou la radio. Il est également journaliste littéraire. Treize de ses romans et recueils de nouvelles sont disponibles en français, tous publiés par Christian Bourgois depuis 2000.
C’est un romancier de l’intime et de l’ambiguïté des liens qui unissent les hommes les femmes: La Douce Indifférence du Monde, qui vient de paraître, toujours chez Christian Bourgois, ne fait pas exception à la règle. Ce court récit dont le titre est inspiré par la tendre indifférence du monde qu’évoque Albert Camus à la fin de L’Étranger, procure une sensation de temps arrêté, comme si tout à coup la vie suspendait son cours.
Tout au long de 37 chapitres courts, Peter Stamm nous entraîne dans l’étrange promenade d’un narrateur romancier en mal d’inspiration. Nous le rejoignons à Stockholm, où il participe à un séminaire de « creative writing » destiné à de futurs scénaristes de séries télé. Ce qui lui convient à peu près aussi bien qu’une bicyclette à un crapaud… C’est qu’il faut bien vivre et qu’à notre époque, le cinéma et la télévision sont les plus sûrs moyens pour un écrivain de s’assurer une vie agréable.
Mais le narrateur a bien mieux à faire. Il a donné rendez-vous à Lena dans un cimetière du sud de Stockholm, le Skogskyrkogården. Le narrateur n’est ni un dragueur ni un psychopathe. Lena ressemble tellement à la Magdalena qu’il a connue et aimée vingt ans auparavant. Lena a trente ans, l’âge qu’avait Magdalena au moment de leur rencontre. Le narrateur en a vingt de plus… Le cimetière se trouve en pleine forêt, c’est un lieu étrange et hors du temps. Le couple va entamer une longue promenade, le narrateur va faire ce qu’il sait faire le mieux : raconter son histoire.
Quatorze ans auparavant, son histoire d’amour avec Magdalena se termine. Et pour la première fois, il trouve un éditeur pour le roman qu’il vient d’écrire, qui est l’histoire de cet amour et de cette rupture. Curieusement, le roman marche bien, son auteur sillonne le pays, de conférence en signature. Un soir, il revient d’une séance de signature à la librairie de la petite ville où il a passé son enfance. De retour à l’hôtel, un peu éméché, il se retrouve face à face avec le jeune homme qui lui ouvre la porte : (…) ce n’est que lorsqu’il me tint la porte que je m’aperçus que c’était moi.
Lena est à peine étonnée par cette phrase pourtant surprenante. Même chose pour le lecteur, que le romancier est parvenu, insensiblement, à attirer dans ses filets… Si vous n’aimez pas le doute, si vous êtes du genre ultra-rationnel, vous ne céderez probablement pas aux sirènes de Peter Stamm. Et ce serait dommage car La Douce Indifférence du Monde est bien davantage qu’une histoire de fantômes ou le récit d’une folie.
Au fur et à mesure que la lecture avance, les deux vies du narrateur, celle du passé et celle du présent, semblent se fondre l’une dans l’autre comme deux couches de brume flottant au-dessus d’un paysage. Peter Stamm poursuit ainsi le récit de la vie de cet homme, de l’amour au non-amour, du succès à la confusion qui l’amène à partir enseigner en Espagne, où il espère fuir ses fantômes. Peine perdue, c’est là-bas, à Barcelone, qu’il rencontrera Chris, son moi d’autrefois… à qui il raconte son histoire. Chris, qui va épouser Lena. Lena, comédienne interprète de Strindberg, comme l’avait été Magdalena des années plus tôt.
Réflexion en forme d’errance sur l’identité, la mémoire et l’amour, sur la pente de la vie, la solitude et la mélancolie, La Douce Indifférence du Monde, roman sensible, volatil, se pose en équilibre entre le présent, le passé et un futur incertain, moment de grâce doux-amer, contraste entre sobriété du style et richesse de l’intrigue et des personnages, pour une lecture infiniment délicate.
J’adore Stamm mais ce roman-ci n’est pas mon préféré.