Frenchy But Chic. Vous vous rappelez ? C’est le titre d’une compilation sortie au mitan des années quatre-vingt-dix où l’on retrouvait des artistes qui constituaient la pointe de l’iceberg Pop plus ou moins underground de l’époque. On y retrouvait notamment des gens comme Marie et les Garçons, Lizzy Mercier Descloux, Mathématiques Modernes et Stinky Toys, entourés de chanteurs et chanteuses qui avaient réussi à percer le plafond de verre comme Lio et Etienne Daho. C’est un peu dans le même esprit que des musiciens venus de Normandie ont eu l’idée de rendre un hommage au cinéaste Eric Rohmer, via un E.P. (Electro Pop) quatre titres, dont le contenu se partage équitablement entre deux créations originales et deux reprises issues de ses films. Nous avons rencontré deux des trois architectes du projet : Alexis Campart (Cristal Palace) et Frédéric Lafayette, qui nous éclairent sur la genèse et la confection de cette œuvre autant originale que séduisante.

Comment a germé l’idée d’écrire et d’adapter des chansons sur l’univers du cinéaste Eric Rohmer ?
Alexis Campart : Mon entrée dans l’univers d’Eric Rohmer se fît il y a quelques années, par l’intermédiaire de Ma Nuit Chez Maud et Les Nuits de la Pleine Lune. Il y a un peu plus d’un an, mon épouse eut l’envie de visionner tout un cycle de ses films, disponible à l’époque sur une chaîne satellite de télévision, ce qui fait que nous avons visionné la majeure partie de son œuvre. La qualité du vocabulaire employé, le style littéraire ainsi que le côté récitation m’ont tout de suite attiré. Si je mets en parallèle la qualité et la richesse du langage par rapport à notre monde actuel, je trouve qu’il y a un décalage qui n’est pas vraiment en faveur de notre époque contemporaine, et certainement du point de vue des relations humaines, le côté non-agressif de ses dialogues dans ses films en général. Voilà ce qui m’a attiré chez lui. A partir de là, j’ai contacté Arthur Allizard (Alizar, Granville…), pour une collaboration autour du projet que j’avais en tête. Tout est parti de là.
Le choix des deux adaptations, Les Nuits de la Pleine Lune, initialement écrite et interprétée par Elli & Jacno, ainsi que celle de je n’sais pas qui, écrite par Ronan Girre et interprétée par Arielle Dombasle, sont issues d’une période bien distincte, la première moitié des années 80. Lors de vos travaux précédents, que ce soit avec Granville ou Cristal Palace, vous étiez déjà dans une perspective Pop assez 80s. Etait-ce un choix délibéré ou la question ne s’est jamais posée telle quelle ?
AC : Je ne crois pas qu’avec Cristal Palace nous étions focalisés sur les groupes des années 80. Nos influences, c’était plutôt le Leeds de la fin des 70s et tout début des 80s, avec des groupes comme Gang Of Four, Au Pairs, ce genre de choses-là. Nous étions aussi portés vers la No Wave, des gens comme James Chance par exemple. Une grosse influence. Quant à Granville, je ne crois pas non plus qu’ils aient été influencés par les années 80 en tant qu’influence majeure.
Frédéric Lafayette : les influences 80s se reflètent peut-être plus dans mon travail. J’adore le tout début des années 80, jusque 84 environ, qui sont pour moi les plus intéressantes. Après on part vers le tout numérique, et à partir de ce moment-là, je trouve les sons beaucoup moins attirants et de plus, on ne parle plus de la même musique et de plus, le matériel change. Je n’aime pas tellement les sons qu’apporte le Korg SS1, alors que le Yamaha DX7 avait quand même son petit charme.
Eric Rohmer, de son propre aveu, n’aimait pas beaucoup inclure de musique dans ses films, estimant que sans dialogue, les bruits de la nature étaient intéressants par eux-mêmes. Dès lors, quel a été le moteur du projet ?
AC : c’est vrai qu’il n’incluait pas beaucoup de musique dans ses films, mais quand il y en avait, c’était souvent lui qui écrivait les textes, sous pseudo. Par exemple, Je n’sais pas avec qui, composée par Ronan Girre et chantée par Arielle Dombasle, est écrite par Eric Rohmer. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de discuter avec Ronan Girre à ce sujet, il s’est montré ouvert et disponible. Il a aimé notre version, ce qui nous a rassuré sur le fait que nous étions sur la bonne voie. L’autre reprise que nous faisons, Les Nuits De La Pleine Lune, est une chanson écrite et composée par le duo Elli et Jacno. Cela a constitué la base du projet que j’ai soumis à Arthur (Alizar), qui a directement décidé de faire partie du projet, tant dans l’écriture que pour la co-production. Nous sommes les co-auteurs de Vague Bleue, tandis que Lafayette et moi avons écrit et composé Flashback Amoureux.
Lafayette, comment en êtes-vous arrivé à partager le micro sur Flashback Amoureux avec Dorothée de Koon, que l’on a entendue aux côtés d’Arnaud Fleurent-Didier et qu’on a pu voir dernièrement à l’affiche dans « Les Paradis de Diane » ?
FL : Tout commence lorsqu’Alexis me contacte pour faire partie du projet. Il avait récemment découvert mon travail en solo et comme mon travail l’a intéressé, j’ai dit oui spontanément. Il m’a donc envoyé des propositions, des débuts de chansons ainsi que quelques ébauches de rythmes. J’ai trouvé le refrain de ce qui allait devenir Flashback Amoureux. Cependant, le fait de chanter le refrain me dérangeait, quelque part. Dans mon esprit, je voyais plutôt une voix féminine derrière. Pas tant une question de genre mais plutôt de cohérence. J’avais l’impression de faire les questions et les réponses. Je connaissais déjà Dorothée De Koon depuis une dizaine d’années. Je lui ai donc demandé si l’éventualité d’un duo l’intéressait et elle a accepté.
AC : Concernant les autres chanteurs, je connaissais déjà Romain (Guerret) du groupe Aline, et Arthur s’est chargé de prendre contact avec Jo Wedin. Quant à Marielle, je joue de la musique avec elle depuis à peu près 20 ans. Elle n’a pas été difficile à convaincre. Concernant l’artwork de la pochette, c’est l’épouse de Frédéric qui s’en est chargée. Dès la première maquette, nous avons directement été emballé.
Comment s’est passé l’enregistrement, à partir du moment où les chanteurs et musiciens proviennent d’horizons géographiques épars ?
AC : En effet, l’éloignement nous a obligé à faire preuve d’inventivité. Dorothée vit à Venise, Arthur, Frédéric et moi sommes basés en Normandie, Marielle habite à Aix-En-Provence, Romain à Marseille, Jo sur Paris. Et donc nous avons surtout travaillé à distance. Mais il y a eu de l’entraide de proximité aussi. Par exemple, Romain s’est déplacé à de Marseille à Aix pour aider un peu Marielle. Quand Romain était à Paris, Arthur a fait le déplacement pour quelques enregistrements. Ce genre de choses. Mais majoritairement, on s’envoyait les pistes. Un peu comme une partie de Ping-Pong, en quelque sorte.
Comment l’EP sera-t-il distribué ? Uniquement en digital ou une sortie physique est-elle prévue ?
AC : Pour l’instant il se trouve sur les plateformes de streaming, nous sommes en train de réfléchir à une distribution physique, en vinyle notamment. Cela devrait normalement se faire. Arthur s’est aussi occupé des clips. Ce qui nous offre une visibilité supplémentaire.
Quels sont vos futurs projets et que peut-on vous souhaiter
AC : Je compose surtout pour les autres. Je mixe et je fais aussi pas mal de mastering. Pour l’instant, Frédéric et moi sommes dans un processus de création, nous verrons où cela nous mène. Arthur prépare un album, Romain travaille aussi sur son prochain album solo.

Sous le Signe d’Eric Rohmer
Grand Ouest – 04 juillet 2025


