[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] eux deux et séparément, ils réunissent parmi les plus beaux frissons que l’on a pu ressentir dans une certaine vision d’un Folk ces dernières années aux côtés d’Evening Hymns et quelques autres. On n’aurait pas pu imaginer une telle rencontre et maintenant que nous en entendons le résultat, tout cela semble tellement évident. Emily Jane White et Rey Villalobos alias House Of Wolves étaient faits pour travailler ensemble. Si nous osions, nous dirions sans doute que l’un est le double masculin de l’autre quand l’autre en est la composante féminine… Comme deux cœurs qui battraient pour un.
C’est étrange parfois comment les choses se font et évoluent. Ils se rencontrent en 2016 à la sortie d’un concert à Los Angeles, ils discutent et discutent et se découvrent bien des choses en commun. Depuis, ne cesse de trotter dans la tête de l’un et de l’autre l’envie de prolonger ces échanges par une création ensemble. Emily Jane White ouvre le bal en reprenant, en se réappropriant le répertoire de House Of Wolves, puis envoie la démo fraîchement enregistrée à son ami qui sort de l’écoute subjugué. Les choses s’accélèrent ensuite, ils trouvent en Christophe du label Discolexique la personne ressource qui leur permettra de poursuivre l’expérience entre l’enregistrement d’un EP ensemble et une tournée commune en France.
Qu’ont donc en commun la dame et l’homme aux loups ? Sans doute cette capacité à se faire dresser notre émotion sur nos échines fatiguées avec presque rien. Des mélodies de poche modestes, simples et pourtant bouleversantes. L’un comme l’autre ont sorti des disques déchirants accompagnés de critiques dithyrambiques et de succès public mais sans doute ne sont-ils qu’au début des surprises qu’ils ont à nous offrir. Rey comme Emily Jane sont de ces musiciens dont les notes disent tout sur eux, bien plus que des discours stériles. Leur univers parle de transparence et de brume, de torpeur et de sensualité, de tendresse et de douceur sans pathos affligeant.
Emily Jane White déchire le silence avec cette tristesse rentrée dans Just Shy Of Survival. On pense à Kate Bush, à Liz Frazer. On entend Song To The Siren, on devine la procession des spectres, ces désespérés au pied des ponts qui s’excusent d’être encore là. L’un comme l’autre chante les maladroits, les inadaptés et les ombres. Il sera difficile de ne pas être saisi par la beauté cristalline de l’envolée toute en équilibre fragile entre lyrisme et repli sur soi.
Rey Villalobos s’attaque à l’un des joyaux de la discographie de la dame avec Kelley extrait de Blood/Lines et si on en doutait encore, on comprend ici toute l’empathie entre les deux artistes, tous les possibles qu’offre cette rencontre. Comme à son habitude, l’américain tisse une épure paradoxalement sèche et douce. Les deux nous proposent ensuite deux inédits chacun laissant présager de bien belles choses à venir. Sur Remains I, on retrouve l’ambiance doucereuse que l’on aimait sur They Moved In Shadow All Together en 2016.
Up High And Low ressemble à une rencontre entre un primo Roy Orbison et un sens de la dérive. Rey Villalobos fouille la même mélancolie mais toujours avec des formules différentes qui évitent le piège de la répétition. On entend un Chris Isaak comme débarrassé d’un rapport trop étroit à la virilité.
Remains II montre encore une fois l’étendue du chant habité d’Emily Jane White qui dit tout le chagrin mais aussi toute la joie en une seule et même note. Searchlights rejoint les terres fantomatiques, ces plaintes nocturnes, l’absence de certitudes, la conviction de la perte à venir. Comme Low Roar, House Of Wolves arrache les larmes par sa sincérité sans artifices.
Le seul bémol que l’on pourrait apporter à ce projet, c’est qu’il provoque sa part de frustration. On se plait à imaginer à l’écoute de ces six titres ce que pourrait apporter au long cours une collaboration entre les deux musiciens, la composition à quatre mains de mélodies qui accompagneraient nos solitudes et nos intimités les plus secrètes. En attendant, on retournera se perdre dans leurs solitudes à eux, leur solitude à deux.
Emily Jane White & House Of Wolves – Split EP
sorti en février 2018 chez Discolexique