[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l y a des disques qui semblent coller à l’air du temps. Sans aucun calcul, leur côté ovni nous donne l’impression d’apporter quelque chose de spécial qui va mettre tout le monde d’accord. C’est le sentiment que donne Shadow People, le nouvel album des Limiñanas. Issu du hasard des rencontres, on y trouve des collaborations d’Anton Newcombe, Peter Hook, Bertrand Belin et Emmanuelle Seigner. Nous avons rencontré Marie et Lionel Limiñana dans le salon de leur maison de disques le jour de la sortie de cet album, qui risque fort de propulser une carrière déjà exceptionnelle dans une autre dimension. Ils se confient sur leurs premières amours musicales, leurs débuts à Perpignan, et la liberté laissée à leurs différents collaborateurs.
Le Premier Jour, qui ouvre l’album, évoque l’arrivée d’un gamin dans un lycée. Il se sent moins seul en remarquant l’existence de bandes comme les Punks et les Mods. Quand vous avez vécu cette expérience en étant plus jeune, aviez-vous déjà l’intention de fonder un groupe même si vous vous sentiez isolés ?
Lionel : Le titre parle d’un gamin qui découvre les bandes qui peuplaient les cours de lycée dans les années 80-90 et y trouve sa place. Les Punks, les Rude Boys, les Nutty, les Hard Rockers. Pour resituer le contexte, à l’époque, c’était exceptionnel de croiser quelqu’un avec un badge d’Iggy Pop ou de Jim Morrisson. Alors quand j’ai rencontré Guillaume Picard, dès mon arrivée en classe de seconde, nous avons fondé un groupe. Ce groupe est devenu les Beach Bitches qui ont sorti quelques disques et ont tourné un peu partout en France. Mais dans un premier temps, notre phase d’apprentissage de la musique s’est faite à Perpignan et ses alentours. Pour l’anecdote, Pink Flamingos, un titre du nouvel album, a été composé avec Guillaume quand nous avions 16 ans.
Comment était-ce d’avoir un groupe à Perpignan ? La scène locale était-elle dynamique ?
C’est une ville dans laquelle on s’emmerdait profondément malgré une certaine douceur de vivre liée au climat. Il y avait aussi beaucoup de chômage à l’époque. On ne trouvait aucun endroit sympa pour sortir. Il n’y avait pas de clubs. Juste quelques excellents disquaires et libraires. On y passait tous nos samedis. Le reste de la semaine, on essayait de comprendre les disques que l’on avait achetés le week-end. On les décortiquait avec nos différents groupes. Nos basiques étaient Gloria, Louie Louie et I Wanna Be Your Dog que l’on a tentés de jouer des après-midi durant. Nous avons fait des rencontres déterminantes à cette période. Nous sommes encore tous amis aujourd’hui. Mais nous n’étions pas les seuls. Il y avait des groupes Punk ou Métal au lycée. Nous étions tous amis, mais on se sentait pourtant isolés. Il y avait très peu de fans des Stooges, du MC5 et du Velvet Underground. J’étais le seul fan de Garage grâce à une compilation de groupes 60’s, Back From The Grave que j’avais chopé en import chez le disquaire Lolita.
Quel impact a eu cette compilation sur ta façon d’aborder la musique ?
J’ai compris que le Punk n’était pas lié qu’aux Ramones ou aux Sex Pistols. Des groupes étaient déjà Punks dans les sixties. J’étais à mille lieues d’imaginer qu’il y avait une scène underground en parallèle aux Kinks, aux Who et de tous ces groupes dont j’étais déjà fan absolu. Cerise sur le gâteau, on s’est aperçu que ces artistes obscurs avaient influencé les Cramps et des tas de groupes qu’on aimait.

Votre son a beaucoup évolué depuis Les Bellas et le début des Limiñanas.
Que pensez-vous du regard des puristes qui considèrent, à tort, que vous vous éloignez du son garage ?
[mks_pullquote align= »left » width= »230″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Tout a fini par se mélanger. Je ne vois pas où est le problème. Tu peux être fan des Cramps, d’Echo & The Bunnymen et des New York Dolls et aimer la musique primitive 60’s. » [/mks_pullquote]
Notre règle de base est de ne respecter aucun dogme. Encore plus celui de la scène garage, même ce terme ne veut plus dire grand chose aujourd’hui. Tout a fini par se mélanger. Je ne vois pas où est le problème. Tu peux être fan des Cramps, d’Echo & The Bunnymen et des New York Dolls et aimer la musique primitive 60’s. Pareil pour la musique française, j’adore Bertrand Belin et mon groupe préféré est JC Satan. Il n’y a pourtant aucun rapport entre les deux. Il n’y a que la fusion des 90’s avec laquelle j’ai du mal. Quand on enregistre à la maison, on ne se demande pas si l’on sort du carcan qui nous appartient. De toute façon, qui est le chef des règles pour définir ce qu’est un puriste ? Heureusement, nous n’avons pas eu énormément de retours en ce sens. Mais je dois t’avouer que je lis de moins en moins ce qu’on écrit sur nous.
Auriez-vous dans vos rêves les plus fous imaginé un buzz tel qu’il existe aujourd’hui autour du groupe ?
Quelles étaient vos ambitions au début des Limiñanas ?
Nous n’avons jamais eu la moindre ambition et nous n’en avons toujours pas. Notre plan de carrière est d’enregistrer des disques et de vivre des expériences intéressantes sur la route. Nous n’avons jamais changé notre façon de travailler, même pour ce nouvel album. Nous n’arrivons pas à croire ce qui arrive au groupe aujourd’hui.
Vos habitudes n’ont-elles pas été bousculées par votre rencontre avec Anton Newcombe de Brian Jonestown Massacre qui a produit l’album ?
Anton a perturbé nos méthodes de travail et de prise de son alors que rien n’était calculé. Il nous a invités à faire la première partie de son dernier concert au Trianon car il était fan du groupe. Le soir même, il nous a proposé de travailler ensemble. Ça s’est concrétisé plus tard par une reprise des Kinks pour le magazine anglais Mojo. Peu de temps après, alors que nous avions l’équivalent de deux albums en maquettes, il nous a invités à le rejoindre dans son studio d’enregistrement à Berlin. On s’est mis au boulot dès le soir de notre arrivée. Nous avons écouté toutes nos bandes et le lendemain matin, Marie a réenregistré toutes ses parties de batterie.
Marie : Ce n’était pas prévu, mais il a profité de ma présence pour me demander d’enregistrer des parties de batterie pour le prochain Brian Jonestown Massacre. Nous sommes des gros fans du groupe. Ça a été un véritable honneur. Rythmiquement ça a apporté une touche différente à notre album.
Vous êtes-vous trouvés des points communs avec Anton Newcombe ?
Lionel : Oui, son studio ressemble un peu au nôtre. Sans fenêtre, avec tout le matériel déjà prêt à être utilisé. Comme nous, il enregistre très vite et garde souvent la première prise.
Marie, ta batterie est mise plus en avant. Était-ce déjà le cas sur vos maquettes ?
Marie : Non, c’est lié à la prise de son d’Andrea Whright. Elle a donné un spectre beaucoup plus large à mon jeu de batterie.
Andrea est une collaboratrice d’Echo & the Bunnymen dont vous avez enregistré une reprise d’Angels and Devils en face B de votre single Istanbul Is Sleepy.
Avez-vous poussé le vice jusqu’à enregistrer cette reprise avec elle ?
(rire général). Oui mais nous ne savions pas qu’elle allait être présente. C’est Anton qui l’a invitée à se joindre à nous pour nos sessions de travail. Elle est arrivée de Liverpool et nous avons fait connaissance autour d’une tasse de thé. Je lui ai dit que s’il nous restait du temps je voulais enregistrer une reprise d’Echo & The Bunnymen. Elle ne comprenait rien car je parle très mal anglais. Elle m’a fait répéter trois fois. Puis elle a éclaté de rire et nous a annoncé que c’était des amis à elle depuis toujours. Tu imagines notre étonnement ! Andrea est une ingé son incroyable. Je ne sais pas si elle leur a fait écouter notre cover. Elle a aussi bossé avec les Pale Fountains et Black Sabbath.
[mks_pullquote align= »right » width= »230″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Lorsque quelqu’un comme Peter Hook, Anton Newcombe ou Pascal Comelade commence à apporter une contribution à ton travail, ça a tendance à le vampiriser et à l’emmener ailleurs. C’est ce qui nous intéresse en premier lieu. » [/mks_pullquote]
Nous avons l’impression que vos goûts musicaux évoluent avec ce nouveau disque. Êtes-vous dans une phase de découverte de vieux classiques ou bien cherchez vous à nous dévoiler une face cachée de votre culture musicale ?
Il y a deux raisons principales qui ont emmené le disque vers une autre direction. Mon ami Nicolas, qui joue dans les Beach Bitches, m’a prêté un synthé Microkorg. J’ai commencé à expérimenter avec. C’est de là que sont sorties les premières prises de l’album. J’ai beau m’en servir très mal, j’ai quand même gardé les premières boucles bidouillées. C’est inhabituel pour nous car on démarre toujours un morceau avec un riff de guitare ou de basse. Cette fois, c’est arrivé dans un second temps. Ensuite, Pascal Comelade nous a emmenés chez Kim, un disquaire à Figueiras en Espagne. Nous avons commencé à parler de Can avec le gérant. Je connaissais le groupe, mais pas tant que ça. Je lui ai demandé par quel album il fallait commencer. J’ai acheté les deux premiers. J’ai fait un blocage. Je les ai écoutés en boucle. Je les ai prêtés aux autres membres du groupe qui sont tous devenus accros. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas été aussi fascinés par des disques. Ça a modifié notre façon de jouer, surtout en live. Il y a pas mal de titres de l’album qui sonnent comme la musique que l’on écoutait pendant sa conception. Il y a du Jesus and Mary Chain dans The Gift par exemple. On entend du Joy Division et du New Order sur d’autres titres.

D’ailleurs, Peter Hook a justement collaboré à nouveau avec vous sur The Gift. Comme sur Garden of Love, son jeu très personnel s’identifie immédiatement.
Est-ce compliqué d’intégrer un son aussi marqué à une chanson des Limiñanas ?
Lorsque quelqu’un comme Peter Hook, Anton Newcombe ou Pascal Comelade commence à apporter une contribution à ton travail, ça a tendance à le vampiriser et à l’emmener ailleurs. C’est ce qui nous intéresse en premier lieu. On propose une base de travail, puis on leur laisse le bébé pour qu’ils en fassent ce qu’ils ont envie. On n’a effacé aucune piste de nos collaborations avec ces gens-là. Il n’y a jamais eu de conflit non plus. Heureusement car je n’aurais pas aimé avoir à leur dire que je n’aimais pas du tout la direction qu’ils donnaient à l’un de nos morceaux.
Marie : Il est important de leur laisser du champ libre dans les titres qu’on leur propose. J’ai tendance à demander à Lionel de ne pas en faire de trop avant de leur envoyer une maquette.
Lionel : Nous avons un atout. Marie joue de la batterie sans cymbale et sans shirley. Ça laisse du spectre pour un tas de détails. Tu peux nourrir un titre avec des éléments qui viendraient le polluer en temps normal. Un tambourin ou une basse marocaine par exemple. Le Velvet ou les Gories fonctionnaient de la sorte. Peter Hook s’est éclaté grâce à ça. Il nous a dit avoir énormément apprécié. Il a ajouté des claviers, un break à la New Order et rallongé le titre. J’étais super fier du résultat. Nous avons été touchés qu’une telle pointure prenne du temps pour nous.
La collaboration avec Bertrand Belin, de l’extérieur paraît inattendue. Vos univers sont relativement éloignés. Comme avez-vous été amenés à travailler ensemble ?
Nous avons beaucoup de goûts communs. Nous nous sommes rencontrés dans une file d’attente dans un aéroport. On avait repéré un groupe de gens plus ou moins habillés comme nous. On a fini par se parler et ils nous ont appris qu’ils allaient au même endroit que nous. Pour jouer dans un festival en Australie. Ce trajet a été une galère à la Spinal Tap. On a mis trois jours pour arriver en Australie. Ça nous a laissé le temps de sympathiser. Nous sommes allés voir son concert et on a flashé.
Marie : Bertrand est une personne incroyable. On a voulu prolonger l’aventure et le lien que nous avions tissé en faisant de la musique ensemble.

Emmanuelle Seigner est également invitée sur votre album. Étiez-vous fan d’Ultra Orange, le groupe avec lequel elle a collaboré en 2007 ?
Même Liam Gallagher disait du bien d’eux à leurs débuts !
Lionel : Et bien oui ! J’ai découvert ce groupe quand j’étais disquaire. Personne ne sonnait comme eux à l’époque. Il y avait des voix à la Velvet Underground. On appréciait aussi Emmanuelle pour ses films bien avant qu’elle nous propose d’enregistrer avec nous. C’était hallucinant. Elle s’est déplacée dans notre petit village pour chanter dans notre garage. Une fois la session terminée nous sommes allés manger dans un restaurant au bord de la mer. En même pas un an, l’élaboration de Shadow People nous a fait rencontrer un tas de gens exceptionnels.
Merci à Edouard d’Him Média et Emilien Evariste
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