[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#808080″]W[/mks_dropcap]ho the f***k is Matt Johnson ?. C’est certainement la question que va se poser la nouvelle génération d’amateurs de musique. Matt Johnson est l’unique cerveau se cachant derrière le groupe britannique The The. Matt Johnson est l’un des rares artistes à avoir rencontré un énorme succès commercial sans vendre son âme. S’il s’est fait discret depuis la sortie de Naked Self en 2000, c’est parce que Matt Johnson a traversé différentes phases. Quelques bandes originales de films sont sorties discrètement, presque dans l’anonymat. Pendant cette période, Matt Johnson a également traversé une période de procrastination et d’inertie. Enfin de retour sur le devant de la scène avec un documentaire et un coffret, tous deux appelés The Inertia Variation, évoquant cette période compliquée, Matt Johnson a également annoncé une série de concerts et la préparation d’un nouvel album. A l’occasion du lancement de sa première tournée depuis 2000, Addict-Culture l’a rencontré chez lui pour un entretien exclusif pour la presse française. D’habitude réfractaire aux interviews, il se livre sans fard sur la période la plus intense de sa vie et le futur du groupe. Il nous explique également qu’à cause de lui The Smiths a failli ne jamais exister.
On pense souvent que tu es resté inactif depuis la sortie de Naked Self en 2000. Tu as pourtant sorti trois bandes originales de films (Hyena, Moonbug, Tony), mais aussi créé ton émission Radio Cineola. Être moins médiatisé te convenait-il ?
Même en gardant le nom du groupe, il est normal que les bandes originales attirent moins l’attention qu’un album classique. Il faut l’accepter avant même de démarrer le projet. A l’époque, j’étais dans un état d’esprit si éloigné de tout battage médiatique que ça ne m’a pas dérangé. Ces sorties étaient espacées. J’avais besoin d’un équilibre entre continuer à faire ce qui me passionne, composer, et un temps de repos indispensable. Mon rêve serait de continuer à mener une carrière à succès sans que personne ne sache qui je suis. Je n’ai pas envie qu’on me reconnaisse dans la rue. Le temps passé hors du regard du public m’a permis de retrouver un anonymat dont j’avais besoin. Le fait que le nom du groupe, The The, soit quasi impossible à rechercher sur Google a bien aidé (rire).
Cet anonymat, tu l’as aussi créé à travers tes pochettes de disques. On y retrouve rarement de photo de toi.
Pendant des années, l’artwork de The The se composait de dessins réalisés par mon frère, Andy Dog. Ce n’était pas le seul élément qui perturbait les fans du groupe. Les membres de The The ont souvent changé. Nous n’avions pas d’image particulière. Lorsqu’on évoque The Cure, on pense immédiatement au look et à l’attitude de Robert Smith. Il a créé une mode. J’étais bien trop timide pour tenter d’emprunter une voie similaire.
Cela t’a t-il valu des problèmes avec les médias en terme de représentation ?
Pas plus que d’autres groupes de l’époque. J’ai quand même réussi à avoir du succès sans jouer le jeu. La presse anglaise doit être une des pires au monde. Les journalistes sont doués pour sortir tes propos de leur contexte ou inventer une image qui n’est pas la tienne. Peu importe que tu sois musicien, sportif ou un politique, tout le monde en fait les frais. Je me suis volontairement coupé de tout ce cirque.
Pourrais-tu nous parler de l’origine de The Inertia Variations. Comment est venue l’idée de départ ?
En 2005 j’ai traversé une période de procrastination et d’inertie. J’étais désillusionné. J’ai stocké tout mon matériel dans un hangar pour ne garder aucune trace de ma carrière dans la musique. Une mauvaise expérience avec mon label, Universal, avait fini par m’achever. Être créatif ne m’intéressait plus. J’ai quitté New York pour m’installer en Suède. Les semaines sans rien faire se sont transformées en mois, puis en années. Un jour, mon ami J G Thirwell m’a contacté en me conseillant de lire un poème. Il s’agissait de The Inertia Variations par John Tottenham, un anglais qui habite Los Angeles depuis plus de trente ans. L’humeur et la tristesse se dégageant de ses vers semblaient parler de ma vie. J’ai contacté John pour lui demander si je pouvais éditer son poème et m’en servir comme base de travail pour un projet autour d’une émission de radio. Je n’avais pas pour objectif de le modifier, juste de l’éditer. Il m’a donné son feu vert. J’ai réduit le poème à 49 vers divisés en sept chapitres. Tous sont basés autour d’une journée de procrastination et de blocage créatif. J’ai parlé de mes intentions à mon ex compagne, la réalisatrice Johanna St Michaels. Elle a tout de suite eu l’idée de filmer le processus. Les deux projets ont fusionné.
Toi qui voulais rester dans l’ombre, avec ce documentaire tu te retrouves soudain en pleine lumière !
Oui car l’idée était intéressante. L’hôte de l’émission de radio représente mon personnage public, mais le poème parle de qui je suis vraiment. Johanna a eu carte blanche, je ne suis intervenu dans aucune décision concernant le contenu diffusé. Je ne suis pas à l’aise avec l’image que je dégage dans certains passages. Mes paroles, mon apparence. C’est ce qui donne son charme au documentaire. On est loin de l’ego, au cœur de l’honnêteté.
Un drame intervenu pendant le tournage: la maladie et la mort de ton frère Andy. Cela a été gardé au montage final.
Cela a ajouté un impact personnel puissant. J’aurais souhaité plus de contenu politique. Mais Johanna trouvait que l’on passerait à côté de l’essentiel, l’humain. Un aspect personnel est plus universel et puissant qu’une idée politique. Personne n’aime qu’on lui dise quoi penser ou prêcher. On aime se faire sa propre opinion. Me voir vieillissant, face à la mort de mes proches et avec d’autres problèmes personnels à gérer souligne que la vie est dure pour tout le monde. Même ceux qui ont eu beaucoup de chance en étant jeunes. On est loin de la confiance et de l’arrogance affichée par le gamin de 20 ans que j’étais. On me voit lutter tout au long du film pour composer à nouveau. La mort de mon frère m’a obligé à lui écrire une chanson. C’était compulsif.
Tu parlais de toi à l’écran, du fait que cela ne te rendait pas toujours à l’aise. Mais quelle a été ta réaction lors du premier visionnage de The Inertia Variations ?
Ayant composé la musique du documentaire, j’en avais déjà vu quelques extraits. Mais je ne voulais pas le regarder en entier avant sa version finale. Je l’ai trouvée émouvante. Bien sûr j’étais hyper critique me concernant. Mon ego a pris le dessus. C’est plutôt la vision de mon père qui m’a bouleversé… Je sais que des gens ont pleuré pendant les projections. Quelques uns sont allés le voir plusieurs fois car ils se reconnaissaient à travers certaines émotions véhiculées. Je suis fier du travail de Johanna. Je suis aussi ravi qu’un documentaire aussi honnête et puissant témoigne d’une des périodes la plus importante de ma vie et de ma carrière. On y retrouve ma famille et mes amis les plus proches.
On te sent particulièrement ému quand tu chantes We Can’t Stop What’s Coming en live à la fin du documentaire.
Je chante le titre pendant l’émission radio The Inertia Variations. Nous étions en direct. C’était stressant à gérer car il y avait beaucoup d’invités. Pendant des heures, les interviewers m’ont empêché de penser que j’allais devoir jouer en live pour la première fois depuis de nombreuses années. Et puis, tout d’un coup, je me retrouve derrière un micro, entouré de caméras. Je voulais que mon interprétation soit parfaite par respect pour mon frère Andy. Ma plus grande crainte était d’oublier les premières paroles, de ne pas pouvoir commencer à chanter. Tout s’est bien passé, mais beaucoup de choses m’ont traversé l’esprit.
Dans le documentaire, on voit tes amis te bousculer pour que tu te remettes à composer. Leur inquiétude a t-elle été un des facteurs qui t’as poussé à revenir sur le devant de la scène ?
C’est surtout Johanna. Je voulais initialement me contenter de jouer un vieux titre de The The. Elle me poussait à composer mais ça n’aboutissait à rien. La mort d’Andy a tout remis en perspective. Ce nouveau titre s’est transformé en hommage. J’avais déjà composé sur la mort de mon autre frère, Eugene. C’est le titre Love is Stronger Than Death que l’on retrouve sur Dusk. Phantom Walls parle de la disparition de ma mère.
Quand tu as sorti We Can’t Stop What’s Coming en single sur ton site, il y a eu tellement de demandes qu’il a rendu l’âme. Cela a dû être une surprise !
Je n’en revenais pas. J’ai voulu faire les choses correctement par respect pour les fans américains et australiens qui n’ont pas le même fuseau horaire que nous. La sortie d’un single en édition limitée a été annoncée dans une newsletter avec une heure précise de mise en vente. Des milliers de gens à travers le monde se sont connectés en même temps. Le site de The The a été hors service pendant trois heures. Nous avons reçu des insultes de la part de fans très en colère. Ça m’a déçu. Nous avons tenté de faire pour le mieux et l’avons réédité par la suite dans une version différente.
Et ensuite, rebelote lors de l’annonce de la tournée de The The.
Nous avions juste annoncé un concert au Royal Albert Hall qui s’est vendu en sept minutes. Dans les minutes qui ont suivi, nous avons mis en vente une nouvelle date à la Brixton Academy. Il y a eu tellement de demandes que leur site a planté.
Comment as-tu réagi à tout cet intérêt autour de The The ?
Je ne savais pas que mon travail passé pouvait encore susciter autant d’intérêt. J’avais laissé ma carrière de côté si longtemps… C’était une véritable surprise. Je ne lis pas la presse musicale, je n’écoute pas les stations de radio spécialisées. Je n’ai plus aucun lien avec le monde de la musique en général. J’étais convaincu qu’on m’avait oublié.
Pourquoi avoir voulu lancer cette série de concerts ?
Mon agent, avec qui je travaille depuis l’âge de 21 ans, me pousse à donner des concerts depuis des années. Ma réponse était systématiquement négative. Il y a un moment dans le film où l’on voit mon fils assister à une répétition. Il dit en suédois : “Je pense que mon père fait son come-back en mémoire de son frère Andrew”. Quand j’ai vu le rush, ça m’a ému. Je n’avais pas de come back en tête. Je me suis dit que je ne pouvais pas me limiter à une chanson pour le Record Store Day. Quelques semaines après, mon agent remet le couvert pour les concerts. Il me parle de grosses sollicitations. Je lui ai dit : “D’accord, mais commençons par des salles de taille raisonnable”. Si l’on remet les choses en perspective, j’ai recommencé à composer grâce à mon ex femme Johanna et je relance ma carrière grâce à mon fils.
Quel est ton rapport aux nouveautés qui sortent ?
Je n’y suis pas fermé mais je n’en écoute presque pas. Nous sommes tellement saturés de musique. Elle est partout, on nous gave comme des oies. Dans les supermarchés, les pharmacies, les séries et les reportages à la télé. C’est une des raisons pour laquelle je me suis débarrassé de ma télévision il y a quinze ans. J’ai dû mettre des filtres. J’aime tellement la musique que je veux qu’elle soit une expérience particulière. J’ai une sono exceptionnelle qui date des années soixante-dix. Je ne m’en sers que quand j’ai envie de passer un bon moment. Je ne veux pas jouer un disque, je veux l’écouter. Avec l’âge je suis devenu sensible au bruit. Je choisis les moments consacrés à l’écoute de musique avec attention. Je n’ai pas de style favori. J’écoute du jazz, du classique et beaucoup d’autres choses. Je suis obsédé par Max Richter. Je suis immergé dans sa musique. Elle me plonge dans des états d’esprit incroyables.
Tu sembles écouter de la musique où les programmations électroniques n’ont pas leur place.
Quand j’écoute de la musique contemporaine, j’ai l’impression de n’entendre que des machines. J’éprouve une haine absolue du beat que l’on entend dans les clubs ou dans les voitures à l’arrêt au feu rouge (il se met à chanter : boom, boom, boom, boom). J’ai envie d’entendre un être humain, pas de l’artificiel. Le dernier David Bowie est en ce sens formidable. Son album m’a fait pleurer. Il est mort presque en même temps que mon frère. J’ai grandi en écoutant Bowie avec lui. Voir la vidéo de Lazarus avec mon frère sur son lit de mort était trop difficile à supporter pour moi. J’ai craqué. Skeleton Tree de Nick Cave m’a également bouleversé. Il est du niveau de The Boatman’s Call. Les émotions sont au premier plan. C’est ce qu’est supposé véhiculer la musique. Pas des beats superficiels et unidimensionnels programmés sur des ordinateurs. Je ne suis pas opposé aux jeunes artistes, mais il faut qu’on arrête de nous vendre ces horreurs. Tu es Français, imagine si on remplaçait toute la gastronomie préparée avec amour dans ton pays par du Mc Donald (rire).
Tu as créé et animé plusieurs podcasts et cette longue émission autour de The Inertia Variations. Écoutes-tu régulièrement la radio ?
J’écoute les infos sur BBC Radio 4 le matin. Ça a pourtant tendance à m’irriter. Les opinions véhiculées sont très à droite, grand public et institutionnelles. La BBC nous offre le point de vue “propagande” de l’Etat. J’aime être informé, mais je tente toujours de comprendre ce qui se cache derrière les propos de la BBC, d’être critique. C’est une porte d’entrée car je consulte beaucoup de sites d’informations alternatifs ou géopolitiques sur internet. Il serait malsain de n’avoir qu’une seule version. Les deux sont complémentaires. J’écoute régulièrement les excellents programmes classiques de BBC Radio 3 et les podcasts de la station WBAI, une radio indépendante que j’appréciais quand j’habitais New York. Elle ne survit que grâce à des donations. Tu l’auras compris, je n’écoute pas de stations diffusant de la pop. Je préfère les débats, ou les émissions sur la poésie.
Trouves-tu la radio moins intrusive que la télévision ?
La télévision est partout. Dans les magasins, les pubs, les restaurants. Les clients passent leur temps à la regarder. La télé t’agresse et te domine. La radio ne produit pas cet effet, c’est plus subtil et intime. Tu peux te consacrer à d’autres choses en l’écoutant.
Avais-tu une émission radio de référence en tête pour The Inertia Variation ?
Non, je voulais que ce soit personnel. J’ai utilisé du matériel vintage pour obtenir un son spécifique. Je voulais que ça ondule comme la basse fréquence des années soixante ou soixante-dix. C’était pour l’esthétique. Le contenu variait entre de la politique, des interviews, de la musique inédite ou live. J’ai parfois utilisé avec un filtre sur ma voix. Pour garder de la distance en lisant certains essais très personnels. Je garde un souvenir ému des pochettes surprises de mon enfance. Elles m’obsédaient car on ne savait jamais ce qui allait se trouver à l’intérieur. J’ai cherché à recréer cette impression avec mon émission.
Pour la partie live, tu as collaboré avec James Eller, un ancien membre de The The. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
J’étais tellement accaparé par la préparation de l’événement que j’ai pensé déléguer la direction musicale à une personne de confiance. J’ai contacté James, le bassiste de The The durant la période Mind Bomb et Dusk. Il a amené le batteur Chris Witthen avec lui (batteur pour Paul McCartney ndlr). Je les ai baptisé The Radio Cineola Band. Ils ont accompagné tous les artistes invités. Tom Bright, Gillian Glover, Colin Lloyd Tucker et d’autres. Colin est un de mes plus vieux amis. Nous avions un job dans le même studio d’enregistrement dans les années soixante-dix. C’est un musicien talentueux et prolifique qui mériterait d’être célèbre. Tous les musiciens présents dans cette émission et sur l’album de reprises sont des personnes que j’ai rencontrées au fil des années, sans connaître leur talent caché.
Va-t-on retrouver des ex membres de The The pour les concerts à venir ?
Oui, il y en aura mais je préfère garder le secret pour l’instant (le line up a seulement été annoncé quelques jours avant les concerts. On retrouvera les anciens membres James Eller à la basse, DC Collard aux claviers, Earl Harvin à la batterie et le nouveau venu Barrie Cadogan à la guitare ndlr).
J’espère que Johnny Marr fera partie du line-up. Lui qui avait rejoint le groupe au moment de Mind Bomb a failli faire partie de The The bien avant, au tout début du groupe. Ce qui aurait empêché The Smiths d’exister. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette première rencontre avec lui ?
Nous nous sommes rencontrés à Manchester. Nous sortions à peine de l’adolescence et il ne connaissait pas encore Morrissey. J’avais sympathisé avec des gens qui étaient originaires de Manchester. Ils m’invitaient souvent là-bas. De 17 à 20 ans, j’ai passé ma vie à sortir. Dans les clubs, aux concerts. J’étais sociable, j’adorais rencontrer de nouvelles personnes. Un jour on m’a présenté Johnny. Il était plus jeune que moi et d’une gentillesse incroyable. Le soir même, il est allé chercher sa guitare chez lui pour me rejoindre dans ma chambre d’hôtel. On a joué toute la nuit. Nous avions les mêmes goûts musicaux, les mêmes envies. Johnny est un enthousiaste. C’est aussi un passionné de musique. La distance entre nos deux villes a rendu notre collaboration difficile. Finalement, chacun a développé son projet de son côté. Cela ne nous empêchait pas de nous voir dès que possible. Il dormait toujours à la maison quand les Smiths étaient de passage à Londres. Le jour où ils ont signé leur contrat chez Rough Trade inclus. Un soir, nous nous sommes retrouvés backstage à un concert d’Iggy Pop. Iggy nous a dit : “vous devriez vraiment travailler ensemble”. Cela a éveillé quelque chose en moi. Le hasard a fait que je lui ai proposé de travailler ensemble au moment où il commençait à sérieusement envisager de quitter The Smiths. Il est venu chez moi et nous avons discuté toute la nuit. Nous étions excités à l’idée qu’il rejoigne The The.
Tu n’écartes pas la possibilité d’enregistrer un nouvel album. As-tu déjà commencé à composer ?
Je suis dans la phase de composition et un album devrait être enregistré dans le courant de l’année. Je gère moi-même ma carrière. C’est un travail énorme qui me laisse peu de temps libre. Même au plus haut du succès de The The, je n’ai jamais été autant occupé. Je rêve de m’isoler pendant des mois pour composer. J’ai des enfants, une équipe qui m’assiste, des amis. Je suis entouré en permanence. Écrire de bonnes chansons demande du temps. Tu joues le même titre sans cesse. Tu retravailles les paroles des dizaines de fois.
Tu as récemment travaillé sur la remasterisation de Soul Mining. Comment était-ce de se replonger dans ce premier album sous le nom de The The ?
Je ne l’avais pas écouté depuis très longtemps. Mes albums de The The ont disparu il y a des années et j’ai dû les télécharger. C’est incroyable, non ? Nous avons obtenu les bandes originales. Après les avoir cuites pour les restaurer, nous les avons passé sur la sono des studios Abbey Road. Le son était fantastique. Si l’on donne le maximum de soi-même pour réaliser un projet, il n’y a aucun regret à avoir. C’était le cas avec cet album. Je suis fier de l’avoir enregistré. C’est un disque d’une grande honnêteté qui dévoile mes émotions de l’époque. Je n’avais pas peur d’innover. Personne ne mélangeait de l’harmonica avec des synthétiseurs. De grands musiciens comme Jools Holland jouent dessus. Malgré tout cela, j’avais l’impression d’écouter la musique de quelqu’un d’autre. Je ne reconnaissais pas le jeune homme de 21 ou 22 ans que j’étais à l’époque. Ce qui ne veut pas dire que je sais qui je suis aujourd’hui (rire). Nous restons des mystères pour nous-mêmes tout au long de notre vie.
Si tu devais choisir une de tes chansons préférées dans ton répertoire, dans laquelle tu te reconnais, laquelle serait-elle ?
Probablement Bluer Than Midnight. C’est un titre honnête et brut. J’aime la simplicité apportée par la voix et le piano. Les paroles sont de nature sensuelle : “Our lips touch. Our limbs entwine”. Cela crée une charge érotique puissante balancée par d’autres paroles bouleversantes : “Why can’t love ever touch my heart like fear does ?”. Ça résume la polarité des décisions que nous devons prendre dans la vie. Peu importe nos choix, la peur est toujours présente en nous. Elle se manifeste de différentes façons. Le racisme, la colère, la crainte de l’inconnu. La peur nous diminue et nous empêche de faire les bons choix. A son opposé, l’amour provoque des émotions qui te font grandir, qui t’ouvrent aux autres. Ce titre figure sur Dusk, un album chargé d’émotions suite à la mort de mon frère Eugene. Je suis allé fouiller dans tous les recoins de mon âme pour composer cet album. Il était d’ailleurs sous-titré “entre chien et loup” pour donner une image de la dualité qui domine Dusk. Bluer Than Midnight est le titre qui fonctionne le mieux pour décrire ce que j’avais en tête. Il a été repris sur le coffret The Inertia Variations par Charlotte Etc. C’est une artiste française que j’ai découvert sur internet. Ayant été immédiatement séduit, je l’ai contactée et nous nous sommes rencontrés à Paris. C’est elle qui a choisi de sélectionner ce titre.
Les paroles de certains albums sont toujours d’actualité. Tes textes sur la politique ou la religion pourraient être publiés aujourd’hui. Tes convictions et tes idéaux sont-ils toujours les mêmes ?
Je ne suis pas un idéaliste. J’ai de simples croyances basées sur l’égalité et la compassion. Le système de santé devrait être financé à 100 % par l’État. Idem pour l’éducation, tout le monde devrait pouvoir recevoir la même. Je suis profondément contre les guerres et les privatisations. Ce ne sont pas des points de vue radicaux. Cette vision considérée comme modérée il y a encore quinze ans est considérée comme extrême et à la marge de nos jours. En Angleterre si tu es pour la guerre et la privatisation tu fais partie des modérés. Tony Blair était considéré comme tel. C’était un psychopathe de la privatisation ! A l’opposé de lui, Jeremy Corbyn s’oppose à la guerre, se soucie de l’éducation et on le prend pour un extrémiste… Mes points de vue n’ont pas changé. Ils ne sont que le reflet de ce que je considère être du bon sens, de l’empathie envers les autres. Depuis vingt ans on se demande qui dirige notre pays. Les États-Unis ? On a l’impression d’être devenu impérialistes au nom de la défense de la liberté. Les divisions entre partis de gauche et de droite et la manipulation de l’information forcent les gens à choisir un camp. Personne n’a les mêmes données pour se faire une opinion. Non pas que ce ne soit pas important, mais on préfère lancer des débats sans fin pour savoir s’il faut créer des toilettes transgenres dans les trains plutôt que de se demander pourquoi les États-Unis, le Royaume Unis, Israël et l’Arabie Saoudite ont financé Al Qaïda et Isis. Des milliers de gens se font massacrer, des millions doivent fuir leur pays. Il faut penser à grande échelle et remettre les choses en perspective. Tu vois, rien n’a changé.
Crédit Photos : John Claridge
Site Officiel – Facebook – Twitter
Merci à Tom Bright, Gilian Glover, François Dieudonné et Touria Mogador
petite lecture Flat Ed 😉
Très bel entretien, merci.