[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ai 2014, Yann Tiersen achève une nouvelle étape de son Midsummer Cycling Tour, périple à vélo au cœur de la Bretagne afin de promouvoir Infinity. L’opportunité pour votre serviteur de retrouver l’intéressé à l’occasion d’une séance de dédicaces. Une entrevue où nous avions échangé sur l’évolution de sa musique. Il est vrai que depuis La Valse Des Monstres (1995) il y a eu de l’eau qui a coulée sous les ponts.
Des débuts marqués par une musique cinématographique dans lequel l’homme-orchestre jongle tel un singe savant entre le piano, le clavecin, le violon, la guitare, l’accordéon et tout autre objet lui tombant sous la main et capable de s’insérer dans des compositions qui toucheront un public plus ample avec le troisième long format. C’est en effet avec Le Phare que la notoriété du breton grandit, aidée pour cela par le chant loin d’être monochromatique d’un certain Dominique A.
La suite, nous la connaissons. Une Black Session magique à l’occasion d’une carte blanche laissée à l’artiste par l’organisation des Transmusicales. Le casting est alléchant et dénote du pouvoir d’attraction qui gravite autour de l’hôte de service.
En fait, le CV va véritablement s’étoffer pour étendre son impact au grand public avec la compilation de pièces (et quelques inédits) au sein de la bande originale du film « cuculte » de Jean-Pierre Jeunet. Après les louanges, un césar et surtout un carton dans les bacs, Yann Tiersen se permet, avec un peu d’audace calculée, d’étayer la matière pour des Retrouvailles qui voient notamment s’installer en studio la sublime voix de Liz Fraser. L’opus est une véritable merveille de savoir-faire, d’expérience maîtrisée et de tentations plus rock.
Ce dernier point n’est pas un hasard. N’oublions pas que notre ami se trouvait au début des années 80 dans l’effervescence de la scène rennaise. Certes, le compositeur a ingurgité avec gourmandise une formation de musique dite classique mais il est évident que son désir était de s’extirper du simple rôle d’icône pour quelques groupies en jupes plissées.
En 2010, il franchit enfin le pas avec Dust Lane qui marque de son emprunte un virage radical vers la symphonie bruyante. Le changement est fort, c’est l’étiquette de constructeur sonore d’Amélie Poulain qui prend une claque dans les mirettes. Sans doute trop pour certains. L’expérimentation vers une architecture qui mélange les genres avec espièglerie et bourdonnements massifs ne sera pas forcément applaudit par les sympathisants de la première heure. Le jouet est cassé, il faut alors tout reconsidérer de manière paradoxale entre la tentation de s’émanciper et celle de définir un nouveau point de départ.
Il faudra deux nouvelles productions et quelques remous en termes d’image pour que la musique revienne à la source. Cette fois-ci encore une courbe qui nous ramène au minimalisme d’antan. Juste le bruit de la mer et un piano. Une simplicité qui tranche diamétralement avec la dernière triade maximaliste (pour ne pas dire alambiquée)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Q[/mks_dropcap]ue dire du nouveau projet ? Le neuvième disque studio est un hommage à Ouessant (Eusa étant le nom breton de l’île).
Dix nouvelles compositions liées aux lieux, véritables refuges à ciel ouvert du musicien. Si l’album a été enregistré dans les studios d’Abbey Road, l’auditeur attentif pourra y déceler quelques captations effectuées sur ce point géolocalisé au large du Finistère : flot des vagues, sifflements marins, goélands railleurs et j’en passe pour le folklore à faire pâlir de jalousie les concepteurs des condensés zen floqués du label Nature & Découverte.
Les plus téméraires et pressés auront pu, comme moi, acquérir la partition du recueil. Intéressant investissement en guise de teaser puisque les scores sont accompagnés d’enregistrements téléchargeables destinés à conférer une expérience musicale unique. L’occasion de découvrir par avance les dix pistes d’Eusa. Pour être honnête, il aurait fallu, pour ma part, que je puisse me remettre au piano… et non accessoirement d’en racheter un !
En attendant, il nous aura été possible de succomber à la simplicité des embruns de Porz Goret. Immédiatement nous revient en mémoire les Comptines issues de la genèse discographie de Yann Tiersen. C’est limpide et d’une fraîcheur saisissante.
Le reste de l’album est du même acabit. Je pourrais alors comprendre la lassitude des plus exigeants en face de cette rengaine qui petit à petit finit par s’embourber dans trop de facilités. A force de dépouillement, il manque un certain parfum de novation. J’ai alors l’impression de réentendre moi aussi des variations déjà ancrées depuis des lustres dans les calepins du résident insulaire.
Histoire de charger définitivement la mule d’un poids trop lourd, comment ne pas évoquer les inspirations dérivées de l’œuvre d’Erik Satie empruntes de symbolisme éclairé voire de répétitions ironiques. Les amoureux de la région pourront aussi se pencher sur le parcours de Didier Squiban dont l’affection pour une mise en musique d’émanation maritime a depuis bien longtemps marqué les esprits friands du répertoire.
Pour autant, cette évidente critique analytique et lapidaire d’Eusa mérite à mon sens un droit de réponse.
Oui Yann Tiersen a vampirisé une partie des illustres cités avant de succomber à la dégustation puis régurgitation de sa propre moelle mais, me faisant l’avocat du diable, je vous demande où se trouve la faute si le résultat final est à la hauteur de l’ambition premium ? Le plaisir de nos oreilles est le seul juge !
Et c’est là que, subjectivement et de manière totalement impartiale, je dérive vers une appréhension enthousiaste du climat général conféré par l’objet sonore. Quel plaisir dans les gammes majestueuses et en mode majeur de Pen ou encore sur les accords en plein galop de Kereon !
Mais s’il ne fallait retenir qu’une pièce du puzzle c’est sans doute dans les jaillissements mélancoliques de Roc’h Ar Vugale que l’on trouvera fortune. Un régal dégorgeant d’une réelle profondeur de sens qui finalement commençait à nous manquer.
Sur le fil tel un funambule, Yann Tiersen parvient à s’extirper d’un projet quelque peu impudent à la lecture chronologique de son parcours artistique. Reste à savoir si cette escapade ouessantine n’est qu’une parenthèse ou alors le reflet de futures aventures bien plus personnelles, en proie à des horizons plus épurés.
L’album est disponible au delà de la mer d’Iroise depuis le 30 Septembre.
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