« On ne cesse jamais d’être tous ceux qu’on a été ».
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »31bdbd »]C[/mks_dropcap]ette phrase n’est pas tirée du recueil Lettres à l’ado que j’ai été mais du magnifique livre de Philippe Lançon, Le Lambeau. L’être humain comme une composition bigarrée de toutes celles ou ceux que nous avons été et dont les identités en sommeil se réactivent au contact d’une personne, au souvenir d’un événement, face à une peur ancienne ou à une joie enfantine. Face à Cavanna dont il est devenu le collègue, l’égal, Philippe Lançon, adulte, se mue en lycéen timide et admiratif ; immédiatement après l’attentat, c’est en enfant de cinq ou sept ans qu’il observe ce monde d’après où il ne reconnaît plus rien et surtout pas l’homme de 51 ans qu’il était jusqu’alors.
Peu importe l’âge, l’enfance et l’adolescence semblent être là, tapies dans un coin de notre être, prêtes à surgir pour nous rappeler qui nous sommes ou pour nous consoler.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es vingt-huit auteurs du recueil dirigé par Jack Parker – et dont la lettre ouvre le livre – cessent brièvement de regarder en avant pour se retourner sur l’ado qu’ils ont laissé derrière eux il y a une quinzaine d’années. Ils écrivent sans nostalgie ni compassion mièvre mais avec tendresse et humour, parfois un brin moqueur. Ils viennent pour tendre la main, rassurer sur l’avenir, réconforter dans cette période où la quête de soi rencontre la quête (voire la conquête) des autres et ce, maladroitement souvent, houleusement de temps en temps et violemment parfois. Certains s’étonnent d’ailleurs d’y avoir survécu.
Malgré l’âpreté de cet âge et les difficultés auxquelles il faut faire face, aucun d’entre eux ne semble vraiment regretter ce qui a été ou au contraire, n’a pas été. Cet exercice d’introspection les conduit finalement à remercier cette fille qui en faisait trop, ce grand maladroit à l’improbable coupe de cheveux, cette jeune fille atteinte dans sa chair et laissée à sa solitude dans une chambre d’hôpital, cette autre sur laquelle s’abat la douleur de perdre un frère ; tous ces ados en pleine tempête et dont ils pensent qu’elle durera toujours. Ce qu’ils ont été, leur permet d’être ce qu’ils sont aujourd’hui et ils ne voudraient rien y changer. Aucun n’a la prétention de délivrer un enseignement de vieux sage dans sa lettre et pourtant, tous disséminent des pépites de tendresse et une invitation à l’estime de soi :
« Car nous sommes deux personnes très différentes, mais nous sommes la même personne. Si on oublie de s’entendre et s’aimer, alors on aura fait tout ça pour rien.
Pars vivre, cours et ne t’arrête jamais.
Aime avec passion.
Ris à t’en étouffer.
Fais toutes les erreurs du monde.
Je m’occupe du reste. » Lettre de Thomas Hercouët
« Ce que je veux te dire, Éloïse, ce que tu ne peux entendre du haut de tes seize ans, c’est que tu feras bon usage de cette douleur. Je ne te dis pas que « tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort » parce que c’est de la connerie. Ce qui ne tue pas affaiblit, détruit une partie de toi. Je ne peux pas te promettre que tu t’en remettras complètement, ce serait te mentir. Mais tu vivras et tu en feras quelque chose. Tu t’en serviras comme force créatrice. » Lettre d’Ovidie
« Vieillir, ce n’est peut-être qu’une longue et laborieuse réconciliation avec soi-même. » Lettre d’Océanerosemarie
« Je ne suis pas venue en grande sœur protectrice. Je sais à quel point tu te sens douloureusement seule, mais sache que, même si c’est difficile à croire dans cette chambre d’hôpital, c’est moi qui ai besoin de toi – et non l’inverse.
Je suis venue humblement, te remercier. Même dans tes rêves les plus fous, tu es à un milliard d’années-lumière de te douter de ce qui t’attend. Et crois-moi, c’est aussi grisant et dingue que doux et merveilleux.
Mais je n’y serais pas parvenue sans toi. » Lettre de Florence Porcel
Lettres à l’ado que j’ai été, Collectif, sous la direction de Jack Parker,
éditions Flammarion, mars 2018.
À noter : Les droits d’auteurs de l’ouvrage sont reversés à l’association « Marion la main tendue » qui lutte contre le harcèlement scolaire.
https://youtu.be/Lxtkc-tzKrs
Très bonne idée! Ce livre m’accompagnera pour l’été! Je ne sais pas qui de l’adulte que je suis et l’ado que j’étais le lira en premier… Ils le feront peut-être ensemble, ou alors se rencontreront sur des souvenirs, se retrouveront dans des expériences… 🙂 Merci pour cette chronique