« L’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes
Que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ;
Ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. »
(Olympe De Gouges, Déclaration Des Droits De La Femme Et De La Citoyenne,
Article 4, 1791)
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]epuis une quinzaine d’années maintenant, le collectif féministe, autogéré et indépendant Barbi(e)turix tisse une toile unique et fédératrice dans le monde très codifié et fragmenté de la vie nocturne parisienne : le spectre de son action, aussi militante que festive, s’applique à bousculer les stéréotypes les plus tenaces, stigmates d’une condescendance encore bien ancrée dans les mentalités lorsqu’il s’agit d’évoquer la place des femmes dans la société en général, et dans le domaine de l’activisme culturel en particulier.
Ouverte mais exigeante, son équipe dynamique et inventive s’est ainsi évertuée au fil du temps à dispenser un message chaleureux mais percutant, non seulement au travers d’un fanzine et d’un site web, mais également en organisant de multiples soirées événementielles, visant notamment à donner toute sa place légitime à la communauté lesbienne, souvent sous-représentée en comparaison de son homologue masculine, nettement plus visible en termes d’espaces, matériels ou médiatiques, dédiés à la singularité de son identité plurielle.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans la droite ligne esthétique du Pulp, mythique club parisien définitivement fermé en 2007, et de l’iconique label Kill The DJ, qui a lui aussi tristement mis la clé sous la porte il y a quelques mois déjà, les généreuses activistes de Barbi(e)turix ont considérablement élargi le champ des possibles en allant jusqu’à investir des lieux aussi prestigieux et « grand public » que l’Olympia, la Gaîté Lyrique ou la Machine du Moulin Rouge pour y déployer leur art consommé de la fête responsable et explosive, prouvant qu’elles n’avaient, en l’espèce, rien à envier aux hommes en matière d’autonomie créative et organisationnelle.
Suite logique des plateaux d’artistes ou DJs qui se sont succédé sur scène ou derrière les platines lors des soirées Wet For Me, We Luv Gouine ou Clito Rise, le collectif a franchi ces derniers jours une étape supplémentaire avec la publication d’une plantureuse compilation sobrement intitulée BBX #1, qui retranscrit en dix-huit pistes, puissantes et habitées, toute l’essence de leur concept frondeur et spécifique. Avec son casting quasi-exclusivement féminin, représentatif des événements Barbi(e)turix passés, présents et, on l’espère ardemment, à venir, cette sélection simultanément éclectique et cohérente dresse un panorama aussi varié que consistant de la scène électronique française contemporaine, alternant titres emblématiques, rares ou inédits, remixes et versions alternatives.
On retrouve ainsi quelques figures déjà bien connues de nos services, notamment l’énergique Rebeka Warrior, qui livre ici une version entêtante et rythmée de son duo À Reculons avec l’électron libre Flavien Berger, les remuants Hyphen Hyphen qui nous servent une relecture extatique et dansante de leur lascif Lonely Baby, la magnétique Maud Geffray qui voit son glaçant Ice Teens prendre un coup de chaud à travers un remix possédé signé Hanaa Ouassim, ou encore la bouillante Léonie Pernet qui, tout en conservant sa dimension âpre et sombre, s’éloigne des rives introspectives de son excellent album Crave pour nous asséner un martial San Gokkun, sur lequel la voix hantée de son acolyte Marie Million évoque les salves les plus furieusement inquiétantes du démiurge Aphex Twin : si cette charge impitoyable est une indication prometteuse de la couleur générale de son prochain long format, il y a tout lieu de penser qu’on a là les prémices d’un classique electro dark en devenir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais au-delà de ces quelques têtes d’affiche que l’on retrouve toujours avec le même plaisir inentamé, les vraies révélations de cette compilation viennent d’artistes dont la notoriété est pour l’heure bien moins évidente : BBX #1 offre ainsi de véritables bombes techno dures et irrésistibles, tels l’hypnotique et vicelard Our Sacred Bodies de Calling Marian (dont on veut croire que l’alias est une référence appuyée aux légendaires Sisters Of Mercy), la tension rigoriste du monumental Enough de Mila Dietrich, qui martèle le slogan de son titre comme un mantra implacable, ou la basse mordante du redoutable Lost de Sara Zinger, dont la progression sinueuse et délétère ne fait aucune prisonnière.
Loin de s’astreindre à une efficacité dancefloor par trop monolithique, la sélection ménage par ailleurs de belles éclaircies mélodiques : difficile de ne pas tomber sous le charme feutré du voluptueux De Taxi En Taxi de Sophie Gonthier, de ne pas fondre sur le déchirant Both Sides de l’intense Jeanne Added ou de résister à la puissance cinématique de l’aérien Paris Orly, qui voit la lumineuse Vale Poher (ex-membre du duo Mensch) et sa complice Theodora reprendre une perle oubliée des années 80. Même les plages les plus ouvertement expérimentales de la compilation, du psychotique Myself With Pico de Flore Morfin à la saisissante leçon de Mathématiques administrée par Régina Demina, du solaire et urbain Calypso Caribbean de Sönge à la reprise déglinguée du tube Sweet Fanta Diallo du chanteur ivoirien Alpha Blondy par Franky Gogo, du blafard et déstructuré Name de Virile au tribal et diabolique Tawa, repris du génial Khonnar de Deena Abdelwahed publié l’an passé chez Infiné, luisent d’une ferveur étincelante et roborative.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n prime, on retiendra non pas une mais deux cerises sur le gâteau : la vertigineuse montée qui traverse la Chambre 2 d’Irene Dresel est l’une des constructions électroniques les plus addictives qu’on aura entendues cette année, tandis que le remix ultra-poisseux et obsédant de l’explicite Achète-Moi d’Üghett par le producteur Vikken a tous les atours de la carte majeure à abattre pour vicieusement ensorceler un dancefloor récalcitrant.
À l’arrivée, cette compilation dense, prenante et vigoureuse, dresse avec une certaine exhaustivité la carte de toutes les sensibilités à l’oeuvre au sein de la scène électronique française actuelle, aussi diverses que complémentaires. Il faut néanmoins souligner avec insistance qu’elle est avant tout l’oeuvre d’une bande d’artistes « furieusement filles », pour reprendre l’un des slogans du collectif Barbi(e)turix, qui semblent s’être passionnément livrées à l’expression sonore d’une cause commune vitale, et dont le militantisme convaincu et acéré ne saurait en aucun cas amoindrir l’enthousiasme festif et collégial.
Car si les lois de la nature et de la raison ne sont définitivement pas suffisantes, elles se montrent clairement prêtes à faire bouger les lignes à grands coups d’électronique puissante, inspirée et fédératrice.
La compilation 18 titres BBX #1 est disponible en versions CD (édition limitée) et digitale depuis le vendredi 4 octobre 2019 via le label Vertical Records.
Barbi(e)turix donnera une release party le samedi 19 octobre 2019 à La Station – Gare Des Mines (29, avenue de la Porte d’Aubervilliers, 75018 Paris) de 22h à 6h du matin.
Site Officiel – Facebook Officiel– Instagram – Twitter
Un immense merci à Maud « Scandale » Pouzin.