Tout commence par une fuite éperdue.
Un couple et leur enfant cherchent à échapper à des poursuivants mystérieux, armés. Ils finissent par se séparer, la femme part en courant avec l’enfant dans les bras. Se cache quelques instants, le temps d’entendre des coups de feu qui coupent la parole de son mari, là-bas. Elle reprend sa course, mais se fait rattraper. La musique résonne gravement. L’enfant est arraché à sa mère. Ses cris stoppés net par un coup à la tête.
Une scène embarquée, violente, à bout de souffle, menaçante, déchirante, pour entamer ce voyage d’absolue paranoïa, de combats intérieurs et de perte d’identité.
My name is Offred. I had another name, but it’s forbidden now.
So many things are forbidden now.
The Handmaid’s Tale est l’adaptation de la nouvelle de Margaret Atwood, qu’on aura connue en France sous son titre traduit « La Servante Écarlate ».
Le monde qui y est dépeint est une anticipation paranoïaque qui prend sa source dans le déclin de l’humanité touché par la stérilité, la prise de pouvoir de fanatiques religieux pour un contrôle total de notre société.
Désormais, la femme est gérée elle aussi, interdite d’autonomie, et déterminée par sa fonction : Épouse (femme de puissant), Martha (bonne à tout faire) ou… Servante (reproductrice). Les femmes utiles parce que fécondes, sont retirées de la société pour être formées à leur destinée, devenir des ventres.
Reconnaissables à leur costume rouge et leur coiffe proche de celle d’une nonne, elles ne doivent rien inspirer, ne doivent entrer en communication avec quiconque, elles ne sont là que pour servir le besoin de fécondation de puissants, et transformer la reproduction en ressource. Morale comme économique.
Elles sont les servantes écarlates.
Offred (Defred en version française), est le personnage principal de The Handmaid’s Tale. Elle est au service d’un Commandant et de sa femme, en désespoir de maternité. La mémoire d’Offred est sa planche de salut, et sa perdition à la fois. On comprend ce nouveau monde grâce au monologue intérieur qu’elle s’efforce d’avoir, piètre refuge dans une réalité où tout est fait pour vous effacer.
Là où d’ordinaire l’utilisation de la voix off est redondance et surexplication, ici, elle est toute en finesse et en expression de l’intériorité de Offred. Avec sa part de doute, de remise en question. C’est le seul véritable lien avec Offred, puisqu’elle n’a pas le droit de s’exprimer ouvertement, et souffre de surveillance rapprochée.
La seule liberté qui lui reste est celle de penser, malgré les limites existantes et l’exiguïté dans laquelle cette liberté persiste encore.
Le flashback est l’autre méthode utilisée ici pour expliquer à la fois qui elle est, d’où elle vient, cette époque ancienne que nous reconnaissons… Encore une fois, une technique de narration qui pourrait être qualifiée de facile, mais ici absolument essentielle. Formellement, il faut réussir à faire le parallèle entre deux personnalités, deux réalités, en recréant des moments aussi tangibles qu’un souvenir peut l’être, c’est-à-dire autant bardé d’impressions floues que d’instants à la précision acérée.
Et pour nous jeter automatiquement dans ce jeu nostalgique, le choix de la musique y est crucial.
Chaque épisode est traversé par un rappel musical « d’avant ». Jusqu’ici, le tracé musical est parfait. Anachroniques, tendus et légers à la fois, ces apartés hurlent leur existence préhistorique, et soulignent leur terrible absence du quotidien.
Ce quotidien de mise en retrait de sa propre personnalité, Offred le traverse chaotiquement intérieurement, mais en sérénité affichée par obligation. Comme toutes les autres servantes.
Le détail mis sur certaines ajoute encore à la sensation de terreur et de la violence dont l’homme est capable, à cette époque, sous cette coupe totalitaire. J’admets un peu d’ironie ici, parce que tout ce qui est évoqué dans cette histoire est déjà existant. Le traitement des homosexuels dans certains pays n’a rien à envier à cette vision barbare de la société.
Les exécutions sommaires, cruelles, le jugement, les discours rejetant le contrôle de son propre corps, la contraception, planqués sous les préceptes tout droit sortis d’un « Livre » qui opprime plus qu’il ne guide…
La relation humaine, tordue selon des règles strictes, ultra hiérarchisée, devient un exercice tellement effrayant qu’on fait tout pour lui rendre son plus simple appareil.
Maître – valet.
Mais, depuis la nuit des temps, et tous les récits d’esclaves l’ont prouvé, l’homme n’est pas fait pour n’être que soumis. Il trouve toujours un moyen de transcender sa condition.
Offred cherche le sien.
Cherche à croire que l’amitié peut encore être possible. Que le sentiment peut avoir survécu. Qu’il existe un moyen de lutter discrètement. Mais plus ça va, plus l’envie de se protéger avant tout s’effrite, car l’équilibre est impossible en captivité.
Elizabeth Moss incarne parfaitement ce personnage d’Offred, perclue de cette peur permanente, et de cette volonté farouche de comprendre, de chercher la faille. Parce qu’il doit forcément y avoir une faille dans ce monde de tyrans.
Le casting niveau salopards est efficace.
Aunt Lydia, prêtresse cruelle, sorte de mère supérieure de toutes les servantes, campée par Ann Dowd, déjà glaçante dans The Leftovers, est totalement terrifiante.
La femme du Commandant, Serena Joy, portrait parfait de la femme des années 50, toujours tirée à quatre épingles, aussi froide et dure qu’un iceberg entier, incontournable, est durement interprétée par Yvonne Strahovski.
Le Commandant n’est autre que Joseph Fiennes, frangin maudit, et décidément plus intéressant dans les rôles de salauds. Manipulateur, minable, sombre, économe en paroles, parfait dans son rôle de maître du jeu.
Du côté des servantes, la surprise vient d’Ofglen (Alexis Bledel), toute en émotion, qui réussit à convaincre fortement dans le rôle d’une homosexuelle « graciée » parce que féconde, mais qui finit par se faire choper par « The Eye », espions correcteurs de comportements inappropriés. Dénoncée, elle est torturée, excisée, puis renvoyée à son job initial : futur mère porteuse.
C’est elle qui souffle à l’oreille d’Offred l’existence secrète d’un réseau de résistance. Mayday. Une organisation qui aurait un nom qui ressemble à un appel à l’aide… tout un programme.
Un éclair d’espoir dans ce champ tellement restreint. Vivre et espérer pouvoir être enceinte, pour finalement se voir enlever son enfant, confié alors à des brutes ? L’accepter sous peine d’être inutile, et donc être déportée dans les Colonies, sorte de bagne à ciel ouvert, où le reste de la population féminine encore en vie se démène à trier des matériaux contaminés, en proie à une mort certaine…
Cette série dystopique est extrêmement bien écrite, la présence d’Atwood herself à sa propre adaptation, et même à la production, doit y être pour quelque chose. Et la mise en scène, bien sûr, souvent très rapprochée mais jamais étouffante, transcrit une parano personnelle et générale, sans user d’effets abrutissants.
Tout est assumé, pas de faux semblants et de cuts superflus, mais des compositions de cadres, des traductions d’impressions, des jeux de flous et de couleurs… une vraie construction à l’image d’un monde si particulier.
Et un clin d’œil sonore à chaque générique de fin d’épisode. Messages supplémentaires qui accompagnent la sortie du récit, comme à la fin du premier épisode où résonne « You don’t own me » de Lesley Gore. Ou encore, en conclusion d’un épisode particulièrement dur autour de l’enfermement, pas de musique, mais le son d’une averse.
Le bonheur d’un instant naturel, qui n’a de sens que celui d’être, et bienvenu en plus.
Le destin d’Offred se déroule sous nos yeux pendant 10 épisodes au total, soit presque dix heures d’une fictive réalité totalitaire dont les bases sont malheureusement déjà reconnaissables, durant lesquelles l’envie de soutenir coûte que coûte Offred ne fait que grandir…
N’oubliez pas son nom.
June.
https://youtu.be/PJTonrzXTJs
La série sera diffusée en France à partir du 27 juin 2017 sur OCS Max, et la saison 2 a d’ores et déjà été commandée pour 2018.
Série terminée! Beaucoup aimé. Merci pour l’article et du coup la motivation à la regarder.
Par contre, je suis presque déçu qu’une saison 2 soit prévue. La fin m’allait bien.
La question serait de savoir si le bouquin va plus loin que la saison 1.
Enfin regardée aussi, en seulement 3 jours (je ne sais pas faire autrement), et WAOUH ! C’est impressionnant, c’est fort, c’est rageant, c’est triste. Et Elizabeth Moss, quel talent…