Je confesse qu’après un demi-siècle d’existence sur le sol de mes ancêtres celtes, je ne parle pas un mot de breton (ou si peu). Natif du Trégor, ma famille a migré à l’âge de douze ans en territoire gallo. La bonne excuse ? Je ne vais pas vous raconter mon histoire qui m’avait déjà servi de prologue lorsque j’évoquais mon engouement à destination de l’album Vel Ma Vin servi avec brio par le « barde moderne » Brieg Guerveno (article disponible ici-même). Il m’est tout de même difficile d’écarter de ce flashback le fameux concert du 12 mars 2020 assuré par l’intéressé et ses accompagnants en la chapelle Lamennais de Saint-Brieuc. Instant suspendu par la solennité du lieu et de ses réverbérations environnantes. Cinq jours plus tard, nos activités ludiques et autres étaient mises sous cloche… A l’occasion de la dernière fête de la musique, je retrouvais avec plaisir Brieg Guerveno pour une performance solo à la fois sobre et élégante. Au détour d’une discussion avec l’artiste, celui-ci me confiait qu’une nouvelle production était programmée courant 2025, annonçant une novation artistique pas forcément à ranger au titre de mes affinités. Curieux, il me fallait attendre avant d’entendre.
Il n’avait pas foncièrement tort. Le style a évolué sagement mais surement même s’il ne renie pas la quintessence attachante de la précédence. N’oublions pas que l’auteur, compositeur et interprète aura conduit son cheminement pour nous porter d’un rock progressif inspiré par un groupe aussi marqué qu’Anathema, en poursuivant l’aventure sous les traits d’une écriture néo-folk chargée par les influences lyriques et mélancoliques que certains trouveront également au travers la gwerz. Les inspirations et influences autant musicales que littéraires sont multiples et façonnent la singularité de l’affaire. La raison d’être de Brieg Guerveno s’exprime en breton avec un naturel qui rattache l’auditeur que je suis à ses propres racines (ça marche aussi si vous n’avez pas un arbre généalogique raccord). La musique respire ici le flottement et le conteur parvient à verser bien plus de lueurs. Au titre de fil conducteur, la lumière transperce ici les espaces les plus sombres.
Plus léger à certains égards, parfois encore tamisé, le feu nouveau percute les cœurs. J’en veux pour illustration parfaite les harmonies de Kalon Flamm qui se revêtent de nappes synthétiques pour le meilleur d’une structure estampillée chamber pop.
Le spleen armoricain demeure au contact d’instants hantés. Pour preuve, l’épure magnétique de la troisième piste Ar Gambr Sklas, pièce assurant la jonction entre l’album sorti en janvier 2020 et Un Noz A Vo, nouveau recueil de 10 chansons dont le titre peut être traduit par l’expression « une nuit viendra ». En guise de clin d’œil, Brieg Guerveno décline également cette thématique en basque (lieu où le long format a été enregistré). Les bretons sont réputés pour être de très grands explorateurs !
Gravitent autour d’un fausset chargé de sable granitique quelques mouvements plus amers, une section de cordes, des effets électriques bien pesés, des arpèges qui glissent sur les fils en nylon… Les peurs comme les espoirs… Deux facettes qui cohabitent entre un désir assumé de modernisme et un vif ancrage dans les méandres d’un folk pertinent et gourmand.
Pastoral qui clôture les développements impose un dernier moment mystique, porté par les chœurs célestes des enfants de la maitrise de Bretagne. Une impression de voguer sur les rives empruntées par Sigur Rós alors que durant 42 minutes je n’ai fait que songer à Ásgeir pour ce qui me parait viscéralement comme un parallélisme créatif commun. L’Islande encore et toujours, celle du romancier et poète Jón Kalman Stefánsson, île sauvage… Sauvage comme nos côtes bercées par les vents, le crachin et la grâce des couleurs.
Brieg Guerveno vient d’en ajouter une de toute beauté.
Crédit photo : Guillaume Fauveau

Brieg Guerveno · Un Noz A Vo
ZRP / Kuroneko – 16 Mai 2025